Pierre Haski: Avec Donald Trump, l’adieu au « soft power »

Pierre Haski: Avec Donald Trump, l’adieu au « soft power »
الجمعة 7 فبراير, 2025

Le tourbillon de menaces, de déclarations brutales et de décisions unilatérales qui marque son retour à la Maison-Blanche confirme que le 47ᵉ président des Etats-Unis n’est pas un adepte du concept d’« influence douce ». Mais miser sur la seule coercition, tant militaire qu’économique, pour s’imposer au monde, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?

Au début des années 1990, Joseph Nye, un professeur distingué de Harvard, a développé le concept de soft power, d’« influence douce » par laquelle un Etat pouvait s’imposer autrement que par des méthodes coercitives. Le meilleur exemple en était le cinéma de Hollywood, qui projetait dans le monde un désir d’American way of life plus puissant que l’envoi de marines à Bagdad… Le soft power était l’opposé du hard power, de la coercition par des moyens militaires ou économiques. La notion a rencontré un immense succès, au point que le professeur Nye a été plusieurs fois invité en Chine, notamment, dans les années 1990, pour expliquer au Parti communiste chinois comment rayonner autrement que par la menace ou la force. Il ne fut pas réellement compris par les cadres du Parti… Depuis, Nye a nuancé sa théorie en parlant de « smart power » : une puissance « intelligente » utilisant des aspects du soft et du hard selon les circonstances.

Avec Donald Trump, ces concepts vont avoir besoin d’une mise à jour. Le 47e président des Etats-Unis a sans doute raté les cours du professeur de Harvard car, depuis son entrée à la Maison-Blanche, il pratique l’exact opposé du soft power : il est plutôt un adepte du principe selon lequel mieux vaut être craint qu’aimé. Trump joue au « méchant », et agit comme un « méchant ».

Les migrants illégaux, menottés et exhibés à titre d’exemple alors qu’ils sont conduits à bord d’avions militaires les ramenant dans leurs pays d’origine en Amérique latine; les menaces visant le Danemark au sujet du Groenland, ou le Panama à propos du canal du même nom; le gel brutal et sans préavis de l’aide internationale apportée par les Etats-Unis, qui sème le chaos dans le monde en développement ; les droits de douane agités comme une arme vengeresse en direction de tous ceux qui sont accusés d’avoir «abusé» de la générosité américaine; le projet insensé d’expulser les deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza dans des pays arabes pour refaire leur vie… La liste est longue des décisions, unilatérales, prises ou évoquées en à peine quelques jours par le président de la première puissance mondiale.

J’évoquais ici la semaine dernière le retour au XIXe siècle dans le comportement de Donald Trump. Le recours au rapport de force dans les relations internationales passe par la démonstration de sa propre puissance sans limites, et, surtout, de sa capacité à l’utiliser. C’est l’exact opposé du soft power, et c’est un choix délibéré du président américain; un choix de rupture qui prend tout le monde de court, faute d’avoir pris Trump au sérieux. Quand le président de la Colombie refuse l’arrivée des avions de migrants expulsés, celui des Etats-Unis le fait plier en quelques heures, et sa base jubile. Quand Trump dit tout haut que l’Egypte et la Jordanie iniront bien par accepter les Palestiniens « avec tout l’argent qu’on leur donne», il ne cherche pas à se faire des amis: il humilie, il intimide, et il pense gagner à la in. Il n’y a pas d’amis, pas d’alliés.

Avec quelles conséquences? L’Amérique a certes les moyens de ses menaces, tant économiques que militaires, et les Européens ne vont sans doute pas tarder à le sentir à leur tour. Mais n’est-elle pas en train de se tirer une balle dans le pied en misant sur la seule force pour s’imposer au monde? Surtout quand d’autres, la Chine et même la Russie, ne manqueront pas, sans beaucoup d’efforts, de prendre les places abandonnées par cet ami devenu menaçant. Le soft power américain est mort, Donald Trump l’a tué.

LE Nouvel Obs.