Le retour de Trump à la Maison-Blanche pourrait bien marquer un changement d’époque. Toujours animé d’une volonté géopolitique disruptive, le républicain a cette fois le soutien des géants de la tech.
LE NOUVEL OBS.
Dater les changements d’époque est toujours difficile, c’est un sujet qui occupe les historiens. Mais il est tout à fait possible que 2025 marque une rupture, avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche et sa volonté disruptive géopolitique : rupture avec le Vieux Monde, celui né en 1945 prend l’eau de tous les côtés. En 1945, les Etats-Unis, sortis plus forts de la Seconde Guerre mondiale qu’ils n’y étaient entrés, ont bâti leur hégémonie politique à travers leur réseau d’alliances (Otan en Europe, Cento au Moyen-Orient, traités avec le Japon, la Corée du Sud…) et un tissu d’institutions (ONU, FMI, Banque mondiale…). Trump arrive avec la volonté renouvelée (il l’a tenté lors de son premier mandat) de détricoter ce qu’il considère comme un piège dans lequel l’Amérique se « fait avoir », paie pour des « passagers clandestins ». Il n’est pas pour autant isolationniste : il est MAGA, Make America Great Again, c’est-à-dire pour une hégémonie fondée sur le rapport de force, avec les Etats-Unis au-dessus de tous les autres.
La principale conséquence de cete vision du monde, c’est qu’elle ne fait pas beaucoup de différences entre les alliés et les adversaires. L’Europe va le réaliser à ses dépens, dès qu’elle tentera de se dissocier des Etats-Unis, ou voudra défendre ses intérêts propres ou sa vision du monde. Prenons un exemple : lorsque la Commission européenne souhaitera, comme elle l’a fait de nombreuses fois par le passé sous la houlete de Margrethe Vestager, l’ex-Madame Concurrence à Bruxelles, imposer de lourdes amendes aux Gafa pour violation des règles européennes, quelle sera la réaction de la nouvelle administration ? A l’automne dernier, avant l’élection du 5 novembre, lorsque Thierry Breton, encore à la Commission, et Elon Musk, soutien de Trump, avaient «clashé» sur les réseaux sociaux, J. D. Vance, le candidat vice-président républicain, avait réagi : « Si l’UE touche un cheveu des entreprises d’Elon Musk, les Etats-Unis se retireront de l’Otan »! Bienvenue dans le nouveau monde des rapports de force.
La grande différence entre les deux mandats de Donald Trump, c’est qu’il a cette fois derrière lui la nouvelle force dominante de l’économie américaine: les géants de la technologie. Elon Musk, avec ses provocations en ligne, son soutien à l’extrême droite européenne et son omniprésence dans les débats politiques américains, n’est que la partie visible de l’iceberg. C’est le nouveau visage du capitalisme américain, qui remplace les multinationales du XXe siècle: les entreprises de la tech sont à la fois le fer de lance de la domination économique du monde, et l’atout numéro un de Washington dans sa rivalité avec la Chine. L’Europe est en passe de « vassalisation », pour reprendre un terme d’Emmanuel Macron qui avait fait polémique il y a deux ans, mais qui se conirme tous les jours à l’approche de l’ère Trump.
Cette rupture voulue par Donald Trump est dangereuse. On ne sape pas ce qui reste de multilatéralisme sans conséquences: les Etats-Unis sont incontestablement la puissance dominante de l’heure, mais tout faire reposer sur les rapports de force attirerait des confrontations à répétition. Et dans son hubris dominatrice, le nouveau président américain risque de pousser le «Sud global» dans les bras accueillants d’une Chine en apparence plus respectueuse. La force ne peut pas tout, Donald Trump l’apprendra sans doute à ses dépens – et aux nôtres.