Alors que la bataille fait rage, en coulisses, pour le poste de secrétaire au Trésor, les premiers responsables désignés par le président élu pour piloter sa future politique énergétique et commerciale sont tous partisans d’une ligne dure.
Par Arnaud Leparmentier (New York, correspondant), Le Monde
Après les nominations sur les fronts diplomatique et intérieur, Donald Trump se prépare à nommer son secrétaire au Trésor et les équipes qui mèneront sa politique commerciale. Mais l’affaire a déjà dégénéré en bataille d’influence entre les différents clans qui entourent le président américain élu. L’un des enjeux sera de mesurer l’influence d’Elon Musk, 53 ans, nommé à la tête d’une commission chargée de sabrer dans les dépenses fédérales, et celle de Robert Lighthizer, 77 ans, ancien représentant au commerce lors du premier mandat de Donald Trump (2017-2021) et partisan résolu des droits de douane.
Jusqu’à la mi-novembre, le financier Scott Bessent, fondateur de Key Square Group, tenait la corde. Las, ce républicain de 62 ans avait deux handicaps : c’est un ancien de chez George Soros, le financier d’origine hongroise qui fit chuter la livre sterling en 1992 et est honni par la droite pour son activisme politique progressiste ; surtout, il a déclaré dans un entretien au Financial Times, à la mi-octobre, que les droits de douane promus par Donald Trump étaient avant tout une arme de négociation. « En fin de compte, [Trump] est partisan du libre-échange. Il faut escalader pour désescalader », a-t-il affirmé, ce qui a été vu comme un non-alignement idéologique avec le président élu.
Elon Musk a lancé l’assaut contre M. Bessent, samedi 16 novembre, en défendant la candidature du responsable de l’équipe de transition de Donald Trump, Howard Lutnick, 63 ans, patron de la firme financière Cantor Fitzgerald. « Mon point de vue est que Bessent est le choix du “business as usual”, alors que Howard Lutnick provoquerait un vrai changement. Le statu quo conduit l’Amérique à la faillite, nous devons donc changer les choses d’une manière ou d’une autre », a attaqué M. Musk sur le réseau social X.
« Rétablir la liberté d’expression »
Au milieu de cette cacophonie, Donald Trump se prépare, selon le New York Times, à mener des entretiens supplémentaires. Seraient dans la course Kevin Warsh, 54 ans, ancien banquier central, marié à une petite-fille héritière de la reine des cosmétiques Estée Lauder ; Robert Lighthizer lui-même ; Marc Rowan, 62 ans, patron du fonds Apollo Global Management ; et le sénateur du Tennessee Bill Hagerty, un républicain plutôt traditionnel qui fit campagne pour Mitt Romney et John McCain, ancien ambassadeur au Japon, mais rallié au trumpisme. Le choix final montrera jusqu’à quel point il faut prendre au sérieux les menaces de guerre commerciale généralisée brandies par Donald Trump ainsi que son souhait de réduire drastiquement les dépenses publiques, alors que Joe Biden a laissé les déficits à des records historiques, hors période liée au Covid-19.
A revers de la politique de Biden
Les premières nominations concernant l’équipe chargée de la politique économique attestent toutefois d’une ligne dure. Ainsi de Brendan Carr, nommé à la Commission fédérale des communications (FCC), l’organe de supervision des médias. « Le commissaire Carr est un guerrier de la liberté d’expression et s’est battu contre l’assaut juridique réglementaire qui a étouffé les libertés des Américains et freiné notre économie », a souligné M. Trump.
Le combat pour la liberté d’expression est un des axes majeurs d’Elon Musk, qui dit avoir acheté Twitter, devenu X, pour 44 milliards de dollars (41,6 milliards d’euros) afin de défendre ce droit menacé, selon lui, par les démocrates. « Nous devons démanteler le cartel de la censure et rétablir la liberté d’expression pour les Américains ordinaires », a posté Brendan Carr, sur X, dans la foulée de sa nomination. Selon lui, « Facebook, Google, Apple, Microsoft et d’autres ont joué un rôle central dans le cartel de la censure. »
Les autres nominations emblématiques concernent l’énergie. Pour gérer le ministère de l’intérieur, qui administre les terres fédérales et l’exploitation de leur sous-sol, le choix du président élu s’est porté sur Doug Burgum, gouverneur du Dakota du Nord et éphémère candidat à la primaire. Ce partisan des forages pétroliers sera aussi président du nouveau Conseil national de l’énergie. « L’Amérique a la chance de posséder de vastes quantités d’“or liquide” et d’autres minéraux et ressources précieux, juste sous nos pieds. Nous allons forer, forer, forer, développer toutes les formes de production d’énergie. En utilisant intelligemment nos incroyables atouts nationaux, nous préserverons et protégerons nos plus beaux endroits, et réduirons nos déficits et notre dette ! », a promis Donald Trump.
Cette nomination s’est accompagnée du choix de Chris Wright pour diriger le département de l’énergie. « Chris a été l’un des pionniers qui ont contribué à lancer la révolution américaine du schiste qui a alimenté l’indépendance énergétique américaine et transformé les marchés mondiaux de l’énergie et la géopolitique », s’est réjoui M. Trump. M. Wright est patron d’une entreprise pétrolière, Liberty Energy, qui a progressé en Bourse de 5,5 %, lundi 18 novembre au matin, dans la foulée de sa nomination, et siège au conseil d’administration d’une start-up spécialisée dans l’énergie nucléaire, Oklo, dont le titre a bondi, quant à lui, de près de 20 %.
La future administration renverse la politique de Joe Biden, qui a cherché à réduire les forages sur les terres fédérales sans y parvenir complètement. La situation est paradoxale : en dépit de politiques protransition, l’exploitation pétrolière a battu des records sous le mandat de Joe Biden, mais Donald Trump veut aller plus loin pour diviser par deux le prix de l’essence. C’est prendre le risque d’une surproduction ruineuse pour le secteur pétrolier.
En théorie, Elon Musk est un avocat de la transition énergétique, en porte-à-faux avec le climatoscepticisme de Donald Trump. Mais, par opportunisme, il approuve l’idée de supprimer les aides de 7 500 dollars (environ 7 100 euros) à l’achat de voiture électrique : son entreprise Tesla étant la seule du secteur à être rentable, cette mesure pénalisera avant tous ses concurrents. Elon Musk veut lever des régulations pour lancer ses voitures sans chauffeur. Donald Trump l’a laissé entendre, et l’action Tesla a bondi d’environ 38 % depuis son élection, le 5 novembre.
Dans cette alliance entre le président des Etats-Unis et l’homme le plus riche du monde, tout est question de transactions. « Je suis pour les voitures électriques », avait déclaré Donald Trump lors d’un meeting à Atlanta, après avoir dénigré les véhicules électriques pendant des mois. « Je dois l’être, car Elon m’a soutenu très fortement. »
Elon Musk, quant à lui, est fondamentalement contre les droits de douane. Il l’a dit indirectement, en saluant la décision du président argentin, Javier Milei, de « sabrer » dans les droits de douane à l’importation. « Bonne initiative », a-t-il tweeté, le 16 novembre. Combien de temps la lune de miel fondée sur de tels désaccords peut-elle durer ? L’entourage de Donald Trump, selon les fuites parues dans la presse, commence à s’agacer de l’omniprésence d’Elon Musk. Le président élu le soutient. Du moins pour l’instant.