Les renseignements israéliens n’avaient pas su repérer les signes de l’attaque du 7 octobre. Avec le Hezbollah, l’Etat hébreu a l’ennemi qu’il attendait
Rory Jones / The Wall Street Journal / L'Opinion
Il y a un an, les services de renseignement israéliens ont essuyé le pire échec de leur existence lorsque le Hamas a lancé une attaque-surprise, tué 1 200 personnes et pris 250 autres en otage. Aujourd’hui, une vague de frappes contre le Hezbollah redonne l’avantage aux espions d’Israël à la réputation tant vantée.
Ce revirement de situation illustre bien la manière dont l'Etat hébreu a investi son temps et ses ressources au cours des vingt dernières années. Depuis sa guerre avec le Hezbollah libanais en 2006, Israël se prépare sérieusement à un autre conlit majeur avec le groupe paramilitaire — et potentiellement avec son soutien, l’Iran.
Le Hamas, en revanche, était considéré comme une menace bien moins concrète. A la veille de l’incursion du 7 octobre depuis la bande de Gaza, les hauts responsables avaient ignoré les signaux d’une attaque imminente. En septembre de l’année dernière, l’armée israélienne avait tranquillement airmé que Gaza était dans un état « d’instabilité instable » et les services de renseignement avaient conclu que le Hamas se concentrait désormais sur ses tentatives d’attiser la violence en Cisjordanie et désirait limiter les risques de représailles israéliennes directes.
« Nous étions principalement focalisés sur notre préparation à une confrontation avec le Hezbollah », rapporte Carmit Valensi, chercheuse du groupe de réflexion Institute for National Security Studies de Tel Aviv et spécialiste du groupe paramilitaire libanais. « Nous avons quelque peu négligé la zone sud et le développement de la situation avec le Hamas à Gaza. » Au Liban, ces deux dernières semaines, le Hezbollah a été sonné par une série d’attaques israéliennes. Choqué par la capacité d’Israël à l’infiltrer, il lutte pour reformer ses rangs. Des milliers de bipeurs et de talkies-walkies de membres du Hezbollah ont explosé à peu près simultanément deux jours de suite la semaine dernière, tuant 37 personnes et faisant environ 3 000 blessés. Peu après, une frappe aérienne à Beyrouth a tué un groupe de plus d’une douzaine de chefs militaires haut placés.
La sécurité du Hezbollah reste poreuse. Mardi 24 septembre, une autre frappe israélienne dans le sud de Beyrouth a tué le commandant de la division des fusées et des missiles du Hezbollah.
Ces opérations ont eu lieu presque deux mois après qu’Israël avait fait la preuve de son noyautage du Hezbollah en éliminant le haut commandant Fouad Chokr, qui avait réussi à échapper aux Etats-Unis pendant quarante ans. Il a été tué par une frappe sur son appartement dans les hauteurs d’un bâtiment résidentiel de Beyrouth où il venait d’être convoqué par un appel téléphonique.
L’intensiication de la campagne du service de renseignement extérieur israélien, le Mossad, et des unités de renseignements militaires a dévasté le haut commandement du Hezbollah et dégradé son arsenal. L’armée de l’air israélienne a pris le relais avec une campagne de bombardements qui a touché plus de 2 000 cibles cette semaine.
Le chef d’état-major israélien a annoncé mercredi que l’intensification de ces manœuvres préparait une invasion terrestre. Les Etats-Unis et leurs alliés exhortent les deux camps à faire une trêve dans l’espoir d’éviter que la guerre ne se développe sur un nouveau front ou même une déflagration régionale, tandis que la guerre à Gaza entre dans son douzième mois.
Plus de 600 personnes ont été tuées par les frappes de cette semaine au Liban et près de 2 000 ont été blessées, selon le ministère de la Santé du pays, ce qui vient s’ajouter au bilan déjà lourd de Gaza.
Le succès d’Israël face au Hezbollah comparé à son échec face au Hamas s’explique par le fait que les services de sécurité du pays sont bien meilleurs en attaque qu’en défense, selon Avner Golov, ancien directeur au Conseil national de sécurité israélien qui travaille désormais chez MIND Israel, un groupe de conseil à la sécurité nationale.
« Le cœur de la doctrine sécuritaire israélienne, c’est de porter la guerre à l’ennemi », explique M. Golov. « Avec Gaza, c’était complètement diférent. Nous avons été surpris, donc ça a été un échec. »
Israël surveille le développement de l’arsenal du Hezbollah depuis que les deux camps ont signé une trêve en 2006 après un mois de guerre. A l’époque, de nombreux membres de l’establishment sécuritaire israélien avaient été déçus par la performance de l’armée et par son échec à infliger de réels dégâts dans les rangs du Hezbollah, qui s’était attelé à reconstruire sa position dans le sud-Liban.
En conséquence, l’armée avait cherché à mieux comprendre le Hezbollah et à étouffer le soutien militaire et inancier iranien dont il bénéficiait, notamment par le biais d’une campagne de frappes aériennes en Syrie, qualifiée de « guerre entre les guerres. »
A Gaza, en revanche, ces dernières années, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a adopté une politique d’endiguement, persuadé que le groupe palestinien était focalisé sur la gestion de Gaza et qu’une guerre avec Israël ne l’intéressait pas. Les deux camps s’étaient livrés à une série de brefs conlits après la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en 2007 et le chef du groupe dans l’enclave, Yahya Sinwar, paraissait plus intéressé par l’amélioration des conditions économiques du peuple palestinien.
Certains signaux indiquaient que le groupe qualiié de terroriste par les Etats-Unis était en train d’organiser une attaque, comme des exercices militaires qui laissaient présager la façon dont il allait envahir Israël le 7 octobre.
Mais les services de renseignement israéliens ont estimé que ces exercices n’étaient que des démonstrations de force à l’intention du public du Hamas. L’armée faisait confiance à la force du mur de séparation technologiquement avancé qu’elle avait érigé pour séparer Gaza du territoire israélien.
Récolter des renseignements de sources humaines qui auraient pu avertir de l’imminence d’une attaque était devenu plus diicile depuis qu’Israël avait décidé de se retirer de la bande de Gaza en 2005 et en avait laissé les rênes aux Palestiniens, explique Uzi Shaya, ancien responsable des renseignements israéliens. « Mettre en place un système de renseignements humain à Gaza, dans une zone très réduite et très dense, où tout le monde connaît tout le monde, où un étranger est immédiatement repérable, complique vraiment beaucoup la vie », développe M. Shaya. Il est plus facile d’avoir accès à des gens connectés au Hezbollah au Liban ou hors du Liban, poursuit-il.
Mais les prouesses des renseignements ne peuvent pas tout. Au bout du compte, c’est sur le champ de bataille que se déterminera le succès d’Israël contre les deux groupes. Dans les limites restreintes de la bande de Gaza, l’armée israélienne a pilonné le Hamas et dévasté les villes. Dans les collines du Liban, elle sera confrontée à ennemi diférent.
Malgré les eforts prolongés d’Israël pour entraver le développement militaire du Hezbollah, le groupe libanais est parvenu à amasser un vaste arsenal qu’il peut déployer en cas de guerre. Il est actuellement en train d’examiner la manière dont il peut répondre au chapelet d’attaques dévastatrices d’Israël. Le Hezbollah a envoyé pour la première fois un missile sur la capitale commerciale d’Israël, Tel Aviv, le 25 septembre, sa riposte la plus audacieuse à ce jour, mais il est loin d’avoir exploité toutes ses possibilités.
Pour Mme Valensi, la chercheuse de l’Institute for National Security Studies, il existe un danger que les récents succès d’Israël aient provoqué un excès de coniance. Une invasion terrestre du Liban pourrait donner au Hezbollah l’occasion de démontrer son avantage militaire sur le terrain, estime-t-elle. « Nous avons vu à quel point il était ardu et difficile d’éliminer une organisation aussi complexe que le Hamas. Le Hezbollah, c’est encore autre chose », conclut-elle.