Chronique. L’actuel soutien inconditionnel de Donald Trump à l’Etat hébreu renforce la relation spéciale entre Washington et son meilleur allié au Moyen-Orient.
Un géopolitologue sérieux n’avait pas besoin d’attendre l’actuel soutien inconditionnel de Donald Trump à Israël – caricatural au point de dépasser les attentes de son gouvernement ultranationaliste ! – pour contredire ce vieux credo selon lequel s’achèverait forcément la relation spéciale entre les Etats-Unis et l’Etat juif.
D’abord, après la chute du bloc de l’Est et la fin subséquente de la guerre froide, beaucoup prétendirent que les Etats-Unis n’auraient plus besoin d’un allié-gendarme tel qu’Israël au Moyen-Orient, et que le dégel profiterait plutôt à un nouveau partage d’alliances entre Washington et les capitales arabes ; d’autant que le prometteur processus de pourparlers israélo-palestiniens d’Oslo de 1993-2000 devait créer un nouvel ordre régional apaisé.
Ensuite vint cette prédiction selon laquelle la population américaine – dont la part non européenne augmenterait tendanciellement, et au sein de laquelle la minorité juive pèserait démographiquement de moins en moins – n’accorderait plus à l’avenir autant d’importance à la Shoah, devenant moins sensible, d’une part, à Israël perçu comme Etat refuge des rescapés et protecteur du peuple martyrisé et, d’autre part, à une certaine mauvaise conscience liée à l’indifférence (réelle ?) du président Roosevelt.
Enfin, sous les présidences Obama et Biden, des commentateurs ont cru déceler au sein du parti démocrate une distanciation, sinon une hostilité grandissante vis-à-vis d’Israël, notamment du fait de sa politique sous l’ère Netanyahou quasi ininterrompue depuis 2009 ; avec la riposte extrêmement massive de Tsahal au pogrom du 7 octobre et les manifestations propalestiniennes de la gauche américaine, c’en était fait de la relation spéciale entre les deux alliés.
Allié fidèle
Jamais l’auteur de ces lignes n’a cru en ces trois "évolutions", qui, toutes, s’avèrent plus que jamais contestables.
En premier lieu, une nouvelle forme de guerre froide a remplacé la précédente, et, de toute façon, Israël est demeuré au Moyen-Orient l’Etat à la fois le plus fidèle (a-t-il le choix ?) aux Etats-Unis et de loin le plus puissant ; Washington a donc continué, y compris sous Obama, à s’appuyer sur lui et ses redoutables capacités de renseignement, notamment face aux ennemis iraniens et alliés. Ses autres bons alliés, tels l’Egypte ou l’Arabie saoudite, bien que dotés de matériels américains performants, restent d’une faiblesse militaire manifeste.
Ensuite, au sein du personnel politique comme dans ceux enseignant, associatif, diplomatique ou entrepreneurial, rien n’indique un affaiblissement mémoriel ni une déconnexion claire entre la Shoah et Israël ; ainsi jamais il n’y eut autant de lycéens en visites dans les expos des mémoriaux, et jamais ceux-ci n’ont connu une telle fréquentation.
Quant aux juifs américains, soit environ 5 millions d’âmes, ils diminuent certes en part démographique relative et leur soutien n’est du reste pas inconditionnel. Mais ceux qui fantasment le fameux "lobby juif" omettent que les protestants évangéliques, très favorables à Israël pour des raisons théologiques, sont… 99 millions ! L’ancien vice-président, l’actuel speaker républicain à la chambre des représentants, des dizaines de sénateurs, de gouverneurs et de représentants souvent jeunes, y compris démocrates, sont des militants pro-israéliens acharnés. Or l’évangélisme, aux Etats-Unis, au Brésil, en Asie orientale et ailleurs, est une véritable lame de fond.
Pas de défiance démocrate
Enfin le parti démocrate, a contrario de l’idée reçue, n’a pas "basculé" dans la défiance vis-à-vis d’Israël ; l’administration Biden fut l’une des plus prodigues à son égard, la plupart des élus démocrates lui demeurent fidèles, et l’élection présidentielle de 2024, y compris dans le Michigan et les autres swing states comptant un électorat musulman important et où les jeunes démocrates étaient censés peser lourdement, a clairement illustré que la cause palestinienne était fort secondaire dans les choix politiques des électeurs. Si l’on ajoute un sentiment de solidarité démocratique dans l’opinion et l’importance croissante du partenariat high-tech civil et militaire chez les décideurs, l’alliance n’est pas prête à se déliter.
L'EXPRESS.