Pour ce journaliste israélien, si le gouvernement de Benyamin Nétanyahou s’est lancé dans ce conflit sans intention génocidaire, l’offensive militaire à Gaza, s’apparente désormais à un génocide. Une opinion à rebours du discours général.
Gidéon Lévy, Ha’Aretz (Tel-Aviv) / Courrier International
Toute personne qui juge inutile la poursuite de la guerre, qui voit l’ampleur des morts et des destructions, qui souhaite mettre un terme aux souffrances inhumaines endurées par plus de 2 millions d’êtres humains ne peut qu’espérer que la Cour internationale de justice de La Haye ordonnera la suspension des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza.
Il n’est pas facile pour un Israélien de souhaiter une décision judiciaire contre son pays, une décision qui pourrait en outre déboucher sur des sanctions, mais y a-t-il un autre moyen d’arrêter cette guerre ?
Il n’est pas facile de savoir que votre État est poursuivi en justice par un État qui en connaît un rayon en matière de régime injuste et dont le dirigeant fondateur a été un modèle pour le monde entier. Il n’est pas facile d’être traîné devant la justice mondiale par l’Afrique du Sud. Il n’est pas facile d’être accusé de génocide quand on est un État qui a été fondé sur les cendres du plus grand génocide de l’histoire.
On ne saurait ignorer plus longtemps qu’Israël est soupçonné des pires crimes contre l’humanité. On ne parle plus d’occupation : on parle d’apartheid, de transfert forcé de population, de nettoyage ethnique et de génocide. Qu’y a-t-il de plus abominable ? Israël est semblet-il le seul État à être accusé de l’ensemble de ces crimes aujourd’hui.
On ne saurait prendre ces accusations à la légère ni les attribuer à de l’antisémitisme. Même si certaines sont exagérées, voire sans fondement, l’indiférence qu’elles rencontrent ici – et qui est comme toujours retournée contre celui qui les porte – est peut-être la bonne voie vers le déni et le refoulement, mais pas pour laver le nom d’Israël et encore moins pour réparer et guérir le pays.
Crimes de guerre. Les plus de 20 000 personnes qui ont été tuées en trois mois, dont des milliers d’enfants, et la destruction totale de quartiers entiers ne peuvent que faire naître des soupçons de génocide. Les propos incroyables de certaines personnalités israéliennes quant à la nécessité de nettoyer la Bande de ses habitants, voire de les détruire font naître des soupçons de nettoyage ethnique. Israël mérite d’être jugé pour les deux.
Il ne fait aucun doute qu’Israël n’est pas parti en guerre pour commettre un génocide, mais il est en train d’en commettre un en pratique, même si telle n’était pas son intention au départ. Chaque jour qui passe dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce les soupçons à cet égard. À La Haye, il faudra prouver l’intention et il est possible qu’on n’y parvienne pas. Cela exonérera-t-il Israël ?
La question du nettoyage ethnique, qui ne sera pas évoquée à La Haye, est davantage fondée. L’intention est ouverte et déclarée. La ligne de défense d’Israël, selon laquelle ses ministres les plus importants ne représentent pas le gouvernement, est ridicule. Il est douteux qu’elle convainque. Si Bezalel Smotrich [ministre des Finances et leader du Parti sioniste religieux] ne représente pas le gouvernement, qu’y fait-il ? Si Benyamin Nétanyahou n’a pas renvoyé Itamar Ben Gvir [le ministre d’extrême droite chargé de la Sécurité nationale], en quoi est-il innocent ?
L’ambiance générale qui règne en Israël devrait cependant nous troubler encore plus que ce qu’il se passera à La Haye. Le temps semble être à la légitimité des crimes de guerre. Le nettoyage ethnique de Gaza puis de la Cisjordanie est déjà un sujet de débat. Le massacre à grande échelle des habitants de Gaza n’est même plus évoqué dans le discours israélien.
C’est Israël qui a engendré le problème en expulsant des milliers de personnes vers ce territoire en 1948 – ce qui constituait sans aucun doute un nettoyage ethnique complet du sud d’Israël : demandez à Yigal Allon [l’un des commandants d’une force paramilitaire juive à l’œuvre en 1948, qui deviendra général de l’armée et, notamment, ministre des Affaires étrangères]. Israël n’en a jamais reconnu la responsabilité.
Les membres du cabinet demandent maintenant qu’on finisse le travail dans la bande de Gaza. La façon répugnante dont on aborde la question de “l’après” – c’est Israël qui décidera de ce qui restera à Gaza – ne fait que montrer que l’esprit de 1948 n’est pas mort. Israël l’a fait à l’époque et compte bien le refaire.
La Cour internationale de justice décidera si c’est suisant pour une condamnation pour génocide ou autres crimes de guerre. Du point de vue de la conscience, la réponse est là.