Explication Le Parlement ukrainien a voté, mardi 20 août, un projet de loi prévoyant l’interdiction sur son sol des activités de l’Église orthodoxe liée au Patriarcat de Moscou, souvent accusée de servir les intérêts du Kremlin. Le président ukrainien s’est félicité d’un texte garantissant « l’indépendance spirituelle » de son pays.
Juliette Vienot de Vaublanc, La Croix
Une « décision historique ». Mardi 20 août, le Parlement ukrainien a voté en dernière lecture un projet de loi prévoyant l’interdiction des organisations religieuses affiliées à un pays belliqueux vis-à-vis de l’Ukraine. Après deux ans et demi de guerre, ce texte cible sans la nommer l’Église orthodoxe liée au patriarcat de Moscou (EOU-MP), souvent considérée comme un relais d’influence du Kremlin. Cette Église a longtemps été la plus populaire dans le pays, comme dans tous ceux d’ex-URSS, mais est aujourd’hui largement concurrencée par l’Église d’Ukraine (EOU), indépendante de toute autorité supérieure.
Dès le début de l’invasion russe, les représentants de l’Église orthodoxe ukrainienne liée au patriarcat de Moscou se sont distanciés des autorités ecclésiales russes, en particulier du patriarche Kirill, leur chef spirituel, fervent soutien de Vladimir Poutine et auteur de prêches justifiant l’agression russe contre l’Ukraine.
Mais ces discours n’ont pas suffi à convaincre les autorités ukrainiennes. « Cette Église a pris ses distances avec Moscou sans rompre avec, souligne l’essayiste Jean-François Colosimo, auteur de La Crucifixion de l’Ukraine : Mille ans de guerres de religions en Europe (Albin Michel, 2022). La situation est devenue insupportable pour l’État ukrainien car, parmi les hiérarques de l’EOU-MP, certains ont fait les mêmes écoles que les diplomates du FSB (les services secrets russes, NDLR), veulent la victoire de Moscou et constituent ainsi un ennemi de l’intérieur. »
La propagande russe ciblée
« Une loi sur notre indépendance spirituelle a été adoptée », s’est ainsi félicité le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, après l’adoption de la loi. Avec ce texte, qui devrait entrer en vigueur en septembre, l’Église orthodoxe ukrainienne liée au Patriarcat de Moscou sera obligée de sortir de la zone grise dans laquelle elle se trouve depuis le début de la guerre, alors qu’une vingtaine de ses membres ont déjà été condamnés pour avoir reçu des fonds ou des armes venus du pays agresseur, ou diffusé sa propagande.
« Les organisations religieuses soupçonnées d’être affiliées à la Russie auront neuf mois pour prouver qu’elles n’ont aucun lien de dépendance, qu’il soit politique, administratif, canonique, financier ou idéologique avec ce pays, sous peine d’être envoyées devant les tribunaux administratifs, voire d’être interdites », souligne Antoine Arjakovsky, directeur de recherche au Collège des Bernardins et auteur de Pour sortir de la guerre (Desclée de Brouwer, 2023), qui précise que les évêques de l’EOU-MP devront quitter le synode de l’Église orthodoxe russe.
Le texte adopté par le Parlement ukrainien vise aussi à mettre un coup d’arrêt à la propagande russe dans le pays. « Jusqu’à présent, plus de 3 000 bâtiments étaient loués aux communautés religieuses rattachées à l’EOU-MP par l’État à titre gratuit. Désormais, s’il est prouvé que la laure de Potchaïv (le deuxième plus grand monastère d’Ukraine, NDLR) fait la propagande du monde russe, l’État pourra récupérer le bâtiment et déloger la communauté qui y habite », détaille Antoine Arjakovsky.
Pas de réaction du métropolite Onufrij
Le texte vise uniquement les cadres de l’EOU-MP, mais pourrait avoir un impact sur ses fidèles, en fonction de la position de leur primat, le métropolite Onufrij de Kiev. « La balle est dans son camp, estime Antoine Nivière, professeur à l’université de Lorraine et spécialiste de l’histoire culturelle et religieuse de la Russie. Soit il affirme à nouveau qu’il est indépendant de Moscou, et il en donne une preuve concrète, soit il déclare qu’il est persécuté, en appelle aux autorités internationales et rentre dans la clandestinité. »
Plus de 24 heures après le vote de la loi, la réaction du métropolite Onufrij se fait toujours attendre. Le Patriarcat de Moscou n’a, lui, pas attendu pour commenter. « Il s’agit d’un acte illégal qui constitue la violation la plus flagrante des principes fondamentaux de la liberté de conscience et des droits de l’homme », a accusé le porte-parole de l’Église orthodoxe russe, Vladimir Legoïda, sur Telegram. Mais pour Antoine Arjakovsky, la liberté religieuse en Ukraine ne se serait pas menacée. « La nouvelle loi est démocratique, insiste le chercheur. Elle interdit simplement aux organisations religieuses d’être des cinquièmes colonnes face à un pays agresseur.