Par Isabelle Lasserre - Le Figaro
ANALYSE - Malgré les appels répétés à un cessez-le-feu durable, le conflit entre Israël et l’organisation terroriste est menacé d’enlisement.
Les appels répétés à un cessez-le-feu durable à l’ONU et dans certaines capitales n’y feront sans doute rien, car toutes les parties ont intérêt à la poursuite de la guerre. À commencer par Benyamin Netanyahou. Les objectifs que s’est fixés le premier ministre israélien n’ont pas encore tous été accomplis. La dissuasion a été en partie rétablie avec le Hezbollah, qui est pour l’instant resté à l’écart du conflit. Mais la « destruction » du Hamas, la libération des otages et l’éradication pour toujours de la tentation terroriste à Gaza sont encore des objectifs lointains et sans doute en partie inatteignables. En dépit des négociations en cours pour une nouvelle trêve, Benyamin Netanyahou a tout intérêt à prolonger la guerre autant que possible. Il joue sa survie politique. Depuis le 7 octobre, sa popularité a chuté dans l’opinion israélienne, qui a vu les limites de sa politique - ou plutôt de son absence - palestinienne. « Il doit prendre le temps de refaire l’union nationale. Sinon il sera chassé du pouvoir pour faillite sécuritaire, politique et morale. Mais s’il tient avec sa guerre pendant six mois et qu’il réussit à affaiblir le Hamas, il a une chance de se maintenir », commente un diplomate proche du dossier.
Il livre la même analyse vis-à-vis du Hamas, qui depuis le début de la guerre a réussi à préempter la question palestinienne. « Plus le nombre de Gazaouis tués par les bombardements israéliens sera élevé, plus le monde musulman se lèvera contre les Juifs et plus ça servira la cause du Hamas. » Comme Daech en Syrie, le Hamas se sert cyniquement des populations civiles, pour souder les musulmans contre Israël, les ÉtatsUnis et leurs alliés. Malgré la violence de la guerre, il capitalise encore, selon certains observateurs, sur le « sentiment de fierté » qui a accompagné les attentats barbares du 7 octobre. « La haine de l’occupant a trouvé là un exutoire formidable. L’Autorité palestinienne, elle, a continué à s’effondrer. Elle n’est plus qu’une ruine corrompue perçue comme un collaborateur d’Israël » constate Élie Barnavi, l’ancien ambassadeur d’Israël en France.
Dans la région, on observe le conflit avec inquiétude mais sans panique. Dans la plupart des pays arabes comme dans les États du Golfe, la question palestinienne avait été enfouie sous le tapis depuis de longues années. Qu’ils considèrent le Hamas comme un groupe terroriste comme les Émirats arabes unis ou qu’ils le voient aujourd’hui comme un mouvement de résistance, les pays de la région ne verseront que des larmes de crocodile s’il venait à disparaître. « Cela ne veut pas dire qu’ils sont pour la résolution de la question palestinienne. Bien au contraire. Le conflit a empêché Israël d’être une grande puissance. S’il est réglé, Israël aura un boulevard pour devenir cette grande puissance. Les pays arabes seraient alors confrontés à leur médiocrité et à leurs insuffisances », commente un diplomate européen longtemps en poste en Israël. En rivalité sur de nombreux sujets, les pays de la région ont fait de leur opposition à Israël la principale source de la cohésion arabe. Leur intérêt, ils l’ont prouvé à de nombreuses reprises, est de garder le conflit israélo-palestinien comme un abcès de fixation, une guerre à bas bruit, de basse intensité, qui se prolonge indéfiniment. « Les Palestiniens sont les idiots utiles de la cohésion arabe », ajoute le diplomate.
Mais la guerre à Gaza sert aussi les intérêts des puissances qui contestent l’ordre international. L’Iran chiite, d’abord. Sans tirer un coup de feu, l’Iran a réussi à remettre en cause la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, considérée comme une ligne rouge à Téhéran et qui, avant le 7 octobre, avait retrouvé de l’élan. La République islamique a aussi réussi, en utilisant ses proxies dans la région sans s’engager directement, à se présenter comme l’axe de la résistance à Israël, ainsi qu’à faire gonfler l’antisémitisme dans le monde, dont elle est un moteur. Et pendant ce temps, son programme nucléaire militaire progresse autant que grossit son influence au Moyen-Orient.
La Russie de Poutine, elle aussi, se frotte les mains. La guerre à Gaza a chassé celle d’Ukraine de la une des journaux en Occident. Elle pose des problèmes budgétaires à la MaisonBlanche, dont l’aide au gouvernement de Kiev a été bloquée au Congrès. Elle augmente la fracture entre le monde démocratique occidental et les pays du « Sud global ». Elle achève l’effondrement du droit international et légitime l’usage de la force et les rapports de force Pendant que les caméras se sont déplacées au Proche-Orient, Vladimir Poutine en a profité pour revenir sur la scène internationale et sortir de son isolement. Sa ligne propalestinienne, nourrie par sa proximité avec le Hamas, lui permet de s’attirer de nouvelles faveurs dans le « Sud global ». Le président russe peut développer son influence au Moyen-Orient en se présentant comme un artisan de la paix tout en augmentant ses attaques contre l’Ukraine sans risquer de protestations internationales.
La Chine trouve dans la guerre à Gaza le même type d’avantages. Un affaiblissement supplémentaire de l’ONU, une aggravation du fossé qui sépare les régimes autoritaires des démocraties occidentales. Pour Pékin, comme pour Moscou, la guerre d’Israël contre le Hamas s’inscrit dans la bataille plus large menée contre l’Occident pour la création d’un « nouveau monde ». Elle a un autre avantage, celui de détourner l’objectif américain d’effectuer son pivot asiatique et recouvrir, au moins temporairement, la question taïwanaise d’un voile.
Toutes ces puissances, dont les régimes n’ont pas toujours à rendre compte à leurs populations, misent sur le long terme. Les démocraties, elles, n’ont pas ce temps. Pas même l’Administration américaine, la seule qui pourrait infléchir le sens de la guerre car elle soutient militairement Israël. Joe Biden a moins d’un an avant la prochaine élection présidentielle, où l’ombre de Trump pèse de plus en plus fort.