William Burns est engagé dans les difficiles négociations secrètes pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza entre Israël et le Hamas
Warren P. Strobel et Summer Said / The Wall Street Journal / L'Opinion
WASHINGTON — Début mars, les pourparlers, intermittents, visant à mettre in aux combats dans la bande de Gaza menaçaient une nouvelle fois d'échouer.
Les délégués des pays arabes (Qatar et Egypte), qui servent d'intermédiaires avec le Hamas, accusaient Benjamin Netanyahu de ne pas rechercher réellement la paix. De son côté, le mouvement palestinien dénonçait les pressions exercées sur lui pour trouver un compromis, dépeignant les Egyptiens comme des laquais d'Israël, selon des personnes au fait de ces négociations secrètes.
Le directeur de la CIA, William Burns, principal médiateur américain, a alors tenté d'apaiser les esprits et de ramener les parties à la table des négociations ain de parvenir à un cessez-le-feu et à la libération des otages et des prisonniers avant le Ramadan. Les pourparlers ont finalement été interrompus sans accord.
Malgré cela, quelques mois plus tard, M. Biden et ses collaborateurs chargés de la médiation poursuivent dans leurs efforts.
Vendredi, le président américain a rendu publique une nouvelle proposition de cessez-le-feu en trois étapes présentée par Israël [NDLR: démentie par M. Netanyahu] avec l'objectif de conduire à un arrêt définitif du conflit. « Il est temps que cette guerre prenne fin », a-t-il déclaré.
Les multiples rounds de négociations et la dizaine de voyages effectués par le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) au Moyen-Orient et en Europe n'ont, pour l'instant, pas abouti à un cessez-le-feu durable — le chef militaire du Hamas, Yahya Sinwar, et M. Netanyahu sont soupçonnés de ne pas véritablement en vouloir.
Pour M. Burns, 68 ans, il s'agit peut-être de la mission la plus difficile de ses quarante ans de carrière, jalonnés de défis diplomatiques à fort enjeu et de tractations secrètes. C'est comme « pousser un très gros rocher en haut d'une colline très escarpée », a-t-il récemment admis.
Même les aspects pratiques des négociations sont particulièrement complexes. Ni Tel-Aviv, ni Washington ne traitent directement avec le Hamas, qu'ils considèrent comme un groupe terroriste. Le Qatar transmet chaque proposition de cessez-le-feu à l'aile politique du Hamas, qui la fait ensuite parvenir à M. Sinwar, qui serait caché dans le dédale de tunnels que le groupe a creusé sous la bande de Gaza. Les réponses peuvent prendre des jours. Les enjeux vont au-delà de la mort et de la souffrance des habitants de Gaza et d'Israël, affirment d'anciens et d'actuels responsables américains et moyen-orientaux.
Les initiatives de M. Burns en faveur d'un cessez-le-feu et de la libération des otages sont essentielles pour faire avancer les autres objectifs diplomatiques des Etats-Unis dans la région, explique Avner Golov, ex-directeur du Conseil de sécurité nationale israélien et actuel vice-président de MIND Israel, une organisation à but non lucratif basée à Tel-Aviv et spécialisée dans les questions sécuritaires. Washington espère notamment la conclusion d'un accord historique entre l'Arabie saoudite et Israël, qui normaliserait les relations entre les deux pays.
Au cours de sa carrière — en tant que diplomate de haut rang et chef des services de renseignement —, M. Burns a mené des entretiens difficiles avec Vladimir Poutine avant son invasion de l'Ukraine et les négociations secrètes avec l'Iran sur le dossier nucléaire. Il a également rencontré le dictateur libyen Mouammar Kadhai pour évoquer le terrorisme et des armes de destruction massive. Lors d'un rendez-vous nocturne dans le désert, ce dernier portait un « pyjama jaune orné de dictateurs africains décédés », selon la description qu'en a fait ultérieurement M. Burns.
Sous la présidence de M. Biden, le directeur de la CIA s'est personnellement impliqué dans les trois principales crises sécuritaires : l'Afghanistan, l'Ukraine et maintenant Gaza, indique Aaron David Miller, un ami de longue date de M. Burns avec qui il a travaillé au sein du département d'Etat. Mais, ajoute-t-il, les négociations liées à Gaza, du moins pour le moment, relève de la « mission impossible ».
M. Burns a reconnu publiquement la nature exceptionnelle du rôle intensif qu'il joue dans les pourparlers concernant la bande de Gaza. En efet, son travail quotidien consiste à diriger une agence de renseignement internationale, au budget de plusieurs milliards de dollars, dont la mission est notamment de surveiller la Chine, la Russie et le terrorisme.
Son implication a pris une nouvelle dimension, devenant plus concrète, en octobre, lorsque le Qatar, l'Egypte, Israël et les Etats-Unis ont décidé de créer une cellule secrète chargée de négocier la libération des otages capturés par le Hamas lors de son assaut du 7 octobre contre Israël. Cette cellule est rapidement devenue un canal de « diplomatie du renseignement ». Les homologues de M. Burns sont David Barnea, chef du Mossad, l'agence d'espionnage israélienne, Abbas Kamel, patron des services de renseignement égyptiens, et Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, Premier ministre du Qatar.
Le groupe, parfois appelé « Quad », a remporté une victoire fin novembre, lorsqu'il a obtenu un cessez-le-feu d'une semaine entre Israël et le Hamas, qui a permis la libération de plus de 100 otages de la milice et de 240 prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes.
Lorsque le cessez-le-feu a expiré, les combats ont repris. Les démarches entreprises depuis six mois pour relancer et élargir cet accord ont échoué en grande partie en raison des exigences du Hamas, qui demandait des garanties sur la fin de l'ofensive militaire israélienne à Gaza, et de l'insistance d'Israël pour qu'un cessez-le-feu soit mis en place par étapes.
Lors de récentes apparitions publiques, M. Burns a déclaré que l'Etat hébreu avait fait preuve d'une grande souplesse dans ses propositions de cessezle-feu. Il a également reproché au Hamas de les avoir rejetées. La position de la milice « est un obstacle assez important à l'heure actuelle », a-t-il indiqué lors du Connecticut World Affairs Council le 19 avril.
Comme médiateur sur Gaza, M. Burns est à la fois un envoyé du président Biden, un arbitre et un thérapeute, selon les participants aux pourparlers et les hauts fonctionnaires américains travaillant en étroite collaboration avec lui.
Le chef de la CIA n'a jamais élevé la voix, ni brandi de menaces, affirment ceux qui l'ont vu à l'œuvre.
« Ce n'est pas son style, assure un ancien haut responsable de la CIA. Avec lui, les échanges peuvent être musclés, mais il respecte la dignité de ses interlocuteurs.
Fin janvier, MM. Burns, Barnea, Kamel et le Premier ministre qatari se sont réunis à Paris pour tenter de relancer les négociations, mais une nouvelle mini-crise a éclaté.
Dans un enregistrement télévisé, M. Netanyahu a, en effet, été surpris en train de qualifier le rôle joué par le médiateur du Qatar de « problématique », le pays autorisant la direction politique du Hamas à résider à Doha. Le Qatar a qualifié ces propos d'« irresponsables et destructeurs » ; M. Burns a dû calmer le jeu, indiquent des sources proches des négociations.
M. Burns a une expérience de plusieurs décennies au Moyen-Orient — il connaît son histoire, les ressentiments qui y existent et ses personnalités importantes. Il y a fait ses premiers pas en 1983, lors de son affectation à l'ambassade des Etats-Unis à Amman, en Jordanie, à un poste subalterne. Ses homologues qataris et égyptiens l'appellent parfois « Burns d'Arabie », et il est connu pour utiliser quelques bribes de son arabe quelque peu rouillé lors des négociations.
Dans les pourparlers concernant Gaza, il conserve la confiance des Arabes et des Israéliens, d'après les hauts fonctionnaires.
Les déplacements de M. Burns se font sans tambour ni trompette — la CIA ne les confirme d’ailleurs pas officiellement. Dans les capitales étrangères, il est accompagné de trois ou quatre assistants et d'un service de sécurité. Il rencontre souvent les membres de l’antenne locale de la CIA et remet parfois en personne des récompenses pour services rendus, selon les dires de ceux qui le connaissent.
En mars, M. Burns et l'équipe de négociation américaine ont commencé à intervenir plus activement en rédigeant des propositions de compromis de cessez-le-feu, selon des sources proches des pourparlers. Il y a eu au moins cinq projets américains de ce type.
Au début avril, à la suite du tir de missile israélien qui a tué sept humanitaires de World Central Kitchen, la Maison Blanche a augmenté la pression sur Tel-Aviv.
Peu après, un nouveau plan de cessez-le-feu a été présenté au Caire. Israël a fait preuve de souplesse sur des points essentiels, a déclaré M. Burns le 19 avril. Le Hamas a alors repoussé l'offre, au grand dam du directeur de la CIA, qui a qualifié ce refus de « profonde déception ».
Début mai, alors que M. Burns faisait la navette entre les capitales du Moyen-Orient depuis près d'une semaine, un accord semblait enfin en vue entre le Hamas et Israël. Tel-Aviv avait fait des concessions en acceptant une période de « calme durable » — plutôt qu'une vague « pause humanitaire » — et en autorisant les Palestiniens à retourner dans le nord de la bande de Gaza.
Mais le Hamas a fait marche arrière et a renouvelé sa demande d'un arrêt permanent de l'ofensive militaire israélienne, selon les médiateurs. Le 5 mai, la milice a tiré des roquettes sur le poste frontière de Kerem Shalom, situé entre Gaza, l'Egypte et Israël, tuant des soldats israéliens. A ce moment, M. Burns s'est rendu au Qatar pour tenter d'empêcher la rupture des pourparlers.
Les négociateurs arabes se sont empressés d'introduire une nouvelle proposition intégrant les exigences du Hamas. Le 6 mai, la milice a annoncé accepter un plan qui était essentiellement le sien, prenant Israël et les Américains par surprise. Tel-Aviv l’a rejeté et les pourparlers ont de nouveau été interrompus.
M. Burns affirme qu'il ne continuera à ne pas ménager ses efforts. « En toute honnêteté, je ne peux pas dire que je suis certain que nous allons réussir, mais ce ne sera pas faute d'avoir essayé, a-t-il déclaré à Dallas à la mi-avril. Et je sais que les alternatives sont pires ».