La décision de la municipalité du village de Fnaydeq, dans le Akkar au Liban-Nord, d’interdire la vente et la consommation d’alcool dans la bourgade a provoqué un tollé hier. Rien de surprenant quand on a en mémoire d’autres affaires d’interdiction similaires, ressenties comme autant de limitations aux libertés individuelles, et contre lesquelles il y avait eu une résistance, notamment dans des villages du Liban-Sud… Pourtant, lorsqu’elle a été interrogée par les médias, la municipalité de Fnaydeq s’est vigoureusement défendue de porter atteinte aux libertés.
Ahmad Baarini, président du conseil municipal, explique à L’Orient-Le Jour que la décision a été provoquée par une série d’incidents constatés récemment dans un espace qui connaît une affluence touristique croissante, dans le plateau de la Qammouaa (véritable château d’eau et zone de forêts, un domaine public attenant à plusieurs municipalités dont ce village). « Nous avons constaté un phénomène grandissant de groupes de jeunes qui montent au site actuellement enneigé et qui boivent de grandes quantités d’alcool, d’où des comportements irresponsables et des dangers sur la route, affirme-t-il. Nous craignons même des débordements plus dangereux, comme des risques d’agressions sous l’effet de l’alcool, par exemple. »
En quoi la simple interdiction de l’alcool peut-elle résoudre tous ces problèmes ? « Il faut savoir tout d’abord que les établissements du village n’ont jamais servi d’alcool, puisque cela n’est pas dans nos traditions, souligne M. Baarini. D’autre part, la décision concerne la consommation d’alcool dans les lieux publics, là où elle peut déranger la population locale et créer un dilemme chez les jeunes de la localité. En d’autres termes, n’importe qui peut boire chez lui, ou de manière discrète loin des regards, nous ne comptons pas du tout l’en empêcher. Mais nous ne pouvons tolérer ce genre d’agissements en public. »
Le responsable municipal assure que la loi sur les municipalités accorde aux conseils municipaux ce genre de prérogatives quand « il s’agit de protéger la sécurité publique », selon ses termes. Mais est-ce vraiment le cas ? Un expert légal, qui a désiré rester anonyme, précise que les prérogatives du président du conseil municipal sont définies dans l’article 74 de la loi sur les municipalités. L’alinéa 23 précise que le président du conseil peut prendre des décisions s’il estime qu’elles sont en faveur de la protection de la santé et de la sécurité publiques, et qu’il peut intervenir auprès des établissements de restauration à cette fin. Il y a également l’alinéa 12 qui permet aux responsables municipaux de prendre des dispositions pour interdire les manifestations qui découlent de la consommation excessive d’alcool, entre autres.
Toutefois, tout est question d’interprétation. Cet expert se demande si interdire les manifestations en relation avec la consommation excessive d’alcool justifie l’interdiction pure et simple de la vente d’alcool. Et si plusieurs autres localités prennent de telles dispositions, ne seraient-elles pas en train de neutraliser la loi nationale qui régit la vente d’alcool dans les établissements ? Précisons que cette décision n’a jusque-là été prise que par le village de Fnaydeq et que les autres localités environnantes n’ont pas fait de même.
« Étonné de l’ampleur de cette polémique »
Quoi qu’il en soit, interrogé sur la manière dont la police municipale compte mettre cette décision en application, Ahmad Baarini souligne qu’ « il s’agira de demander à toute personne qui consommerait de l’alcool en public de ne plus le faire ou d’aller ailleurs ».
Pour sa part, le député Walid Baarini, originaire du village, déplore « l’ampleur de la polémique autour de cette décision ». « Nous ne comptons en aucun cas changer les comportements au Liban ni basculer dans une mentalité takfiriste, assure-t-il à L’OLJ. Je suis désolé que l’on ait interprété cette décision-là de cette façon. Elle n’est pas dirigée contre une quelconque communauté puisque ces jeunes qui ont causé des troubles sont de toutes les communautés. Nous restons attachés à la coexistence, mais cherchons à épargner à notre population locale de vivre dans une atmosphère qui ne lui convient pas. Cette décision est d’ailleurs soutenue par tout le village. »
Quant à Ahmad Baarini, il assure qu’ « aucune religion ne tolère de tels agissements ». « Ce n’est en aucune façon une décision de nature confessionnelle, mais plutôt une prévention contre un chaos grandissant », précise-t-il.
Suzanne BAAKLINI | OLJ28/01/2019