Qui veut des “deux Etats” en Israël ?

Qui veut des “deux Etats” en Israël ?
الأحد 4 فبراير, 2024

 

Par PIERRE HASKI

Il faut se méier des sondages, évidemment… Ils ne représentent que l’état de l’opinion à un moment précis ; le résultat dépend souvent de la question posée ; la méthodologie peut varier et la marge d’erreur est plus ou moins importante. Malgré toutes ces réserves, lorsqu’un sondage efectué en janvier, en pleine guerre dans la bande de Gaza, donne près du tiers des Israéliens en faveur de la solution des deux Etats, devant toute autre formule, on y prête attention.

Le sondage a été efectué à la demande d’une organisation de la société civile, l’Initiative de Genève, qui regroupe des personnalités israéliennes et palestiniennes favorables au « camp de la paix ». Elle avait été fondée il y a vingt ans dans une vaine tentative de sauver les accords d’Oslo, mais s’était heurtée au puissant mur de la violence et de la radicalité. Signe des temps diiciles, la vieille gauche, dont sont issus les fondateurs de cette initiative côté israélien, ne dispose que d’une poignée de sièges à la Knesset.

N’empêche… Le sondage est loin d’aller dans le sens de la disparition annoncée, surtout à un moment d’émotion intense, après le massacre du 7 octobre et l’engagement des réservistes dans la guerre. Lorsqu’on demande aux Israéliens quelle est la « solution la plus viable au conlit israélopalestinien », c’est celle des « deux Etats pour les deux peuples » qui arrive en tête : 31,7 %, devant « l’expulsion en masse des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie » (26,2 %), l’annexion de ces territoires « sans accorder la citoyenneté aux Palestiniens » (19,2 %). Seuls 2,9 % sont favorables à l’annexion avec des droits égaux, un seul Etat démocratique, donc ; et 20 % ne savent pas, ce qui est beaucoup.

Plus clair encore, 51,3 % des Israéliens apporteraient leur soutien à un accord patronné par les Etats-Unis, prévoyant le retour des otages, un Etat palestinien « non militarisé » et la reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite, contre 28,9 % qui le refuseraient. Et 30 % des Israéliens se disent prêts à voter pour un parti qui soutiendrait un règlement politique du conlit.

Ces résultats vont bien sûr contre l’idée reçue selon laquelle le 7 octobre et la guerre radicalisent les positions, et les responsables de l’Initiative de Genève en tireront quelque espoir pour cet après-guerre qui se discute en ce moment dans les coulisses. Il y a toutefois un non-dit dans ces résultats : l’absence de précision classique dans les sondages israéliens, qui distingue les citoyens juifs et non juifs (Palestiniens d’Israël, Druzes, Bédouins…). Le sondage considère l’électorat d’un seul bloc, ce qui est sans doute satisfaisant pour le lecteur républicain français, mais moins dans le contexte israélien.

Je me souviens de l’insistance permanente d’Yitzhak Rabin, le Premier ministre des accords d’Oslo, assassiné par un extrémiste juif en 1995, sur la nécessité de disposer d’une « majorité juive » pour aller de l’avant dans le processus de paix, et pas seulement d’une majorité simple. Or il y a environ 20 % de citoyens – et donc d’électeurs – arabes en Israël : les « Palestiniens de 1948 », restés sur place à la naissance de l’Etat hébreu. Ils votent, mais – c’est révélateur – n’assurent pas la légitimité aux yeux de la classe dirigeante israélienne. Cette donnée relativise les résultats du sondage, mais ne les infirme pas : cela confirme juste l’ampleur du travail de conviction nécessaire pour obtenir un soutien aux hypothétiques « deux Etats » dont tout le monde, à l’extérieur, rêve sans trop savoir comment y parvenir.