Rien n'est jamais écrit d'avance. L'été 2024 menaçait d'être meurtrier. C'était compter sans cette rage de liberté défendue par les démocraties.
par Nicolas Baverez, Le Point
L'été 2024 promettait d'être meurtrier pour les démocraties, mêlant escalade de la violence sur le plan international et poussée du populisme à l'intérieur. En Ukraine, l'effroyable guerre d'attrition menaçait de tourner à l'avantage de la Russie. Le Moyen-Orient semblait sur le point de s'embraser, à la suite des frappes croisées entre Israël, puissance nucléaire, et l'Iran, pays du seuil, ainsi que de l'intensification des opérations de Tsahal en Cisjordanie comme de celles du Hezbollah et des Houthis. En Asie, les tensions montaient entre la Chine et Taïwan mais aussi les autres États du Pacifique, Philippines en tête, autour de la souveraineté des îlots en mer de Chine. En Afrique, l'alliance entre djihadistes et Touareg annonçait la déroute des armées locales et la constitution d'un vaste «Sahelistan». Aux Etats-Unis, l'élection de Donald Trump face à Joe Biden paraissait acquise après l'attentat de Butler, le 13 juillet. L'Europe subissait une multiplication des attaques au couteau, qui culminait au Royaume-Uni. Dans ce contexte, de lourdes craintes pesaient sur la sécurité et l'atmosphère des JO de Paris.
Mais l'Histoire n'est jamais écrite à l'avance et rien ne s'est passé comme prévu. La dynamique de la haine et de la violence, née de la guerre d'Ukraine, n'a pas été désarmée. Pour autant, même si la liberté politique est très loin d'être sauvée, nombre de surprises positives sont intervenues qui rééquilibrent la balance entre les démocraties et les empires autoritaires.
Aux États-Unis, le renoncement de Joe Biden a changé la donne, et une élection très serrée se dessine entre Donald Trump et Kamala Harris, qui se révèle une excellente candidate. Au Royaume-Uni, Keir Starmeraétabli son leadership lors des émeutes racistes déclenchées. par l'explosion des attaques au couteau, montrant autant de fermeté envers les agresseurs qu'envers les militants d'extrême droite. Il a ainsi entrepris de reprendre le contrôle des finances publiques tout en réinvestissant dans les services de base et en cherchant à poser avec l'Allemagne les bases d'un nouvel accord post-Brexit avec l'UE. En Ukraine, David, à défaut de terrasser Goliath, fait mieux que lui résister. Face à la menace existentielle de la Russie, la population et l'armée de Kiev font preuve d'une résilience, d'une cohésion et d'une faculté d'adaptation qui forcent l'admiration. Ainsi les forces ukrainiennes, sous pres sion dans le Donbass, ont-elles pris de court Moscou en lançant le 6 août une offensive vers Koursk. Elle leur a per mis de conquérir plus d'une centaine de localités en territoire russe, préparant l'ouverture de négociations en position plus favorable. Au Moyen-Orient, qui peut à tout moment basculer dans une confrontation généralisée, l'escalade est restée contrôlée, y compris après l'exécution à Téhéran du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, et son remplacement par Yahya Sinouar, l'organisateur des massacres du 7 Octobre. Si les négociations pour un cessez-le-feu à Gaza demeurent dans l'impasse, la confrontation entre le Hezbollah et Israël est restée limitée. Au Bangladesh, le soulèvement des étudiants a triomphé de la répression sauvage de la dictature de Sheikh Hasina, qui a été contrainte de s'exiler en Inde. Le Prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus a pris la tête du gouvernement, avec pour mission de restaurer la paix civile et l'ordre constitutionnel, de relancer l'économie, de repositionner le pays à égale distance de la Chine, de l'Inde et de l'Occident. Enfin les Jeux de Paris 2024 se sont parfaitement déroulés, donnant une magnifique image de la France mais témoignant aussi de la capacité des hommes et des nations du XXIe siècle à se retrouver, à rivaliser pacifiquement, à partager des émotions et des valeurs communes.
L'été 2024 se montre ainsi aussi riche de surprises que d'enseignements, dont le premier est que le pire n'est jamais certain tant que les citoyens ne s'y résignent pas. La liberté n'a pas perdu face aux autocrates et aux tyrans, aux fanatiques et aux démagogues, dès lors que des femmes et des hommes continuent de risquer leur vie pour la défendre ou pour y accéder. Contrairement aux affirmations de Xi Jinping, de Poutine ou d'Erdogan, les démocraties ne sont pas condamnées à la décadence. A l'âge de l'histoire universelle, la maxime de Thucydide conserve toute sa pertinence: «Il faut choisir: se reposer ou être libre.»