Il convient de se réjouir avec la plus grande prudence d'une trêve qui ne règle rien sur le fond, explique Dominique Moïsi, géopolitologue. Au moins, celle-ci, espère-t-il, met peut-être fin au pire.
Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.) LES ECHOS.
A Gaza, après quinze mois de guerre, un cessez-le-feu fragile vient enfin de voir le jour. Certes, une trêve n'est pas la paix. Et moins encore la fin d'un conflit qu'il semble impossible de résoudre, tant ses données sont complexes. Pourtant, la rencontre entre les pressions du président élu Donald Trump (sur des bases de négociation largement définies par l'administration Biden) et un nouvel équilibre des forces sur le terrain ont fait la différence. L'accord intervenu le 15 Janvier 2025 est le même que celui proposé par l'Amérique de Biden en mai 2024. Mais à l'époque, le Hamas se croyait plus fort qu'il ne l'est réellement, et ce surtout après les coups sévères portés par l'État hébreu à l'Iran et à ses alliés. Et il était plus facile à Benyamin Netanyahou de dire « non » à Biden qu'à Trump. Pour en comprendre la raison, il convient de revenir à la conférence de presse donnée par Antony Blinken il y a quelques jours.
Ses critiques à l'encontre du gouvernement israélien expliquent (au delà du pouvoir de conviction de Donald Trump) le changement d'attitude de Jérusalem. « Nous estimons», disait-il, que depuis le début de la guerre, le Hamas a recruté autant de combattants qu'il en a perdu. Et ceci « Israël doit abandonner le mythe qu'il peut poursuivre sa politique d'annexions de facto, sans que cela ait de coûts et de conséquences pour sa démocratie. »
Bibi peut accepter, à regret, le diktat de Donald Trump sur Gaza, parce qu'il ne s'attend pas à de telles pressions de sa part sur la question palestinienne. Il espère aussi que le nouveau président américain fera de la question du nucléaire iranien une priorité de son administration. Et qu'il ne la considérera pas (comme plus ou moins l'ensemble du Moyen Orient, sinon du monde) comme une simple distraction qui ne doit pas le détourner de ses vraies priorités: la question des migrants à l'intérieur, la Chine à l'international.
Pour autant, la pilule est amère pour les Israéliens. Devoir négocier avec le Hamas, même s'il est considérablement affaibli, c'est reconnaître que la victoire n'a pas été totale, que l'éradication des barbares du 7 Octobre n'a pu être réalisée. Devoir libérer des prisonniers palestiniens qui ont du « sang sur les mains », c'est prendre un risque considérable pour la sécurité d'Israël.
Le principal responsable du 7 Octobre, Yahya Sinwar, avait fait l'objet d'un échange particulièrement inégal (plus de 1.000 Palestiniens pour la libération d'un seul soldat israélien). Et tout cela sans l'assurance que tous les otages (ceux qui sont encore en vie et dont on ignore le nombre exact) seront libérés. Enfin, Israël va devoir retirer progressivement ses troupes de la bande de Gaza. En l'absence d'une vision politique claire pour le futur, n'est-ce pas un pari bien hasardeux?
A quoi bon tous ces exploits militaires, toute cette ingéniosité technologique, tous ces sacrifices, toutes ces victimes aussi dans la population civile palestinienne, si c'est pour en arriver là? Le constat qu'Israël peut être sur le plan militaire un acteur régional considérable, mais qu'il reste un « nain » sur le plan global, face aux pressions que peut exercer sur lui, son principal fournisseur d'armes, son financier et de façon ultime son assurance-vie?
Victime de son Hubris, Israël a été pris par surprise le 7 Octobre. Ayant rétabli sa dissuasion stratégique à un coût considérable pour son image, Israël se rend compte que rien n'a changé, ou si peu, pour lui dans l'équation stratégique finale. L'Etat hébreu est trop fort pour ses adversaires directs, mais trop faible pour imposer sa volonté à la communauté internationale.
Du côté palestinien, la joie qui se manifeste dans les rues de Gaza est nettement plus claire. Le simple fait d'avoir survécu à ces quinze mois terribles est perçu comme une victoire. Demain se posera la question des responsabilités. Le Hamas a fait preuve d'une cruauté absolue à l'égard des Israéliens (désignés délibérément comme des juifs) le 7 Octobre.
Et d'un cynisme, d'une insensibilité totale à l'égard des populations civiles palestiniennes, utilisées comme des boucliers humains. Lors de la seconde Intifada (2000- 2005), la stratégie des « bombes humaines » avait déjà participé à ce processus de déshumanisation.
Au lendemain du 15 janvier, il convient de se réjouir avec la plus grande prudence. La trêve ne règle rien sur le fond. Mais elle met peut-être fin au pire, ne serait-ce que de manière temporaire.