CHRONIQUE - Si l’État hébreu persévère dans la riposte militaire sans envisager la création d’un État palestinien, il laisse planer le spectre d’une guerre sans fin.
Le chaos et la misère ne cessent de s’amplifier dans la bande de Gaza. Le 29 février 2024, une émeute de la faim autour de camions d’aide humanitaire a fait plus de cent morts parmi les Palestiniens, certains écrasés par les camions ou piétinés par la foule, d’autres abattus par des soldats israéliens.
Dans cette zone côtière de 365 km2, où s’entassent sans pouvoir en sortir deux millions de Palestiniens – les descendants des réfugiés de la guerre israélo-arabe de 1948, perdue par les Arabes -, plus des deux tiers des habitations et des infrastructures ont été détruites par les bombardements de Tsahal.
Comme l’administration du territoire a été démantelée par la guerre, les gangs se multiplient. La loi d’Allah a été remplacée par la loi du plus fort. Vivre à Gaza n’était pas particulièrement riant avant la guerre, où l’on subissait une double sujétion, celle de la force extérieure israélienne et celle de la tyrannie islamiste intérieure du Hamas. Mais, aujourd’hui, c’est juste intenable. Rappelons qu’en droit international Israël assume, depuis 1967, la charge de Gaza.
Le Hamas porte certes une lourde responsabilité dans la catastrophe actuelle. À partir des accords israélo-palestiniens d’Oslo de 1993, il aurait pu jouer le jeu de la paix et de la construction progressive d’un État palestinien, vivant aux côtés d’Israël dans un esprit de respect mutuel. Il ne l’a pas fait. Il n’a pas tenté de faire de Gaza un petit Singapour arabe. Il s’est obstiné à ne pas reconnaître le droit à l’existence d’Israël - ce que l’OLP de Yasser Arafat avait fait dès 1988 -, puis il a adopté une ligne de confrontation armée contre l’État hébreu, stratégie pseudo-virile, vouée à l’échec. Depuis sa création, l’État d’Israël ne s’est jamais laissé intimider par la violence. Si au lieu d’avoir recours aux bombes et aux kalachnikovs les jeunes Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie occupée avaient eu recours à une résistance passive à la Gandhi, l’effet aurait été beaucoup plus fort sur la société israélienne, dont l’esprit majoritaire est fondamentalement démocratique.
Lors de son attaque du 7 octobre 2023, le Hamas s’est montré, au surplus, incapable de discipliner ses combattants. Au lieu de borner leurs destructions à des cibles militaires ou à la haute barrière qui entourait la bande de Gaza, ces pseudo-guerriers ont commis d’innombrables exactions contre des civils pacifiques, provoquant la riposte d’Israël contre l’ensemble du territoire palestinien.
Mais les punitions collectives ne sont pas seulement immorales, elles sont aussi contre-productives. Selon les chiffres du Hamas, 30 000 Palestiniens, pour la plupart des civils, ont été tués depuis le début de cette nouvelle guerre israélopalestinienne. Il y a un moment où il faut dire stop. Israël n’a aucun besoin de préparer une nouvelle génération d’orphelins palestiniens rêvant de venger leurs parents, ni de s’aliéner à nouveau un monde arabo-musulman qui se rapprochait de lui, notamment depuis les accords d’Abraham (août 2020). Les Occidentaux ont le devoir moral et politique d’arrêter les massacres en Palestine.
Depuis 1967 et la conquête israélienne de Gaza et de la Cisjordanie (jusque-là administrées respectivement par l’Égypte et la Jordanie), le Proche-Orient subit une sinistre division tacite du travail : à Israël de s’occuper de sa sécurité ; à l’Occident de prendre en charge l’humanitaire. L’Amérique est parvenue aujourd’hui, à Gaza, à un point rarement atteint de schizophrénie. En même temps, elle livre les bombes qui détruisent les habitations de Gaza, et elle parachute de l’aide à leurs habitants dépourvus de toit. Avec une telle division du travail, le conflit peut durer longtemps car personne, dans la sphère occidentale, ne fait vraiment l’effort d’imposer une solution politique.
Disposant, sur Israël, de leviers politiques, financiers, militaires sans égal, les Américains pourraient lui imposer un partage, où l’État hébreu consentirait à abandonner son contrôle sur 22 % de la Palestine mandataire, afin de créer un État palestinien viable. Mais, pour des raisons de politique intérieure et de campagne électorale quasiment permanente, ils ne le font pas. Aujourd’hui, les États-Unis sont le seul pays du Conseil de sécurité de l’ONU à voter non à toutes les propositions de cessez-le-feu au Proche-Orient.
En Israël, les tenants d’une solution à deux États se font, hélas, très discrets. Le gouvernement Netanyahou laisse croire, sans le proclamer ouvertement, que la meilleure solution serait une réimplantation des Palestiniens dans les États arabes du voisinage. C’est un rêve car elle ne serait acceptée ni par ces États ni par les Palestiniens eux-mêmes, qui veulent éviter une seconde Nakba (en arabe, la catastrophe, qui a vu, en 1948, 800 000 Arabes quitter leur terre natale).
Les Juifs partisans de cette solution disent que l’Europe a bien elle-même connu de considérables transferts de populations en 1945. C’est vrai, mais c’était à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, conflit où le bien-être des populations passait au second plan. Aujourd’hui, les transferts de force de populations sont interdits par la Charte de l’ONU et profondément réprouvés par les opinions publiques. Le monde arabo-musulman n’acceptera jamais de tels transferts.
Ses parrains occidentaux se montrant velléitaires, il appartient à Israël de décider lui-même s’il préfère donner un État aux Palestiniens (dont les clés pourraient être remises à Marwan Barghouti, chef prestigieux du Fatah, aujourd’hui emprisonné, mais homme ayant reconnu le droit à l’existence de l’État juif), ou s’il fait le choix d’une guerre perpétuelle. Si un référendum, assorti d’une campagne explicative, était organisé en Israël, je suis persuadé que c’est la première solution qui l’emporterait.
Le Figaro