CHRONIQUE - À la Maison-Blanche, l’hypothèse d’une action militaire contre l’Iran, en coordination avec Israël, fait son chemin. Elle aurait pour objectif de forcer le régime des mollahs à renoncer à l’arme nucléaire.
Le 15 décembre 2024, le premier ministre d’Israël et le président élu des États-Unis d’Amérique ont eu une longue conversation téléphonique sur les voies nouvelles qui s’offraient au Moyen-Orient après la chute du régime baasiste à Damas. L’axe chiite qui reliait la Perse à la Méditerranée - via la Syrie de Bachar al-Assad - a en effet volé en éclats.
Donald Trump, qui a davantage d’instinct en relations internationales que de connaissances livresques, sent que Benyamin Netanyahou est tenté de pousser son avantage. L’Américain juge que l’Israélien songe à s’en prendre désormais directement aux installations nucléaires de l’Iran, maintenant qu’il a réussi à décapiter ses deux supplétifs au Levant, le Hamas et le Hezbollah.
Lorsqu'il me reçut, dans son bureau de Jérusalem, le 13 octobre 2024, le premier ministre israélien m'avait redit avec beaucoup de clarté qu'il était hors de question que l'État hébreu accepte un jour que les Iraniens se dotent de l'arme atomique, car cela représenterait un risque existentiel pour lui.
Le pogrom commis le 7 octobre 2023 par le Hamas sur les communautés israéliennes pacifiques de l'extrême sud du pays y a provoqué un traumatisme dont les Européens n'ont pas vraiment l'idée. C'était en effet la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que des Juifs étaient en masse massacrés comme Juifs, et que personne n'était là pour les défendre.
Au lieu de s'attarder sur les responsabilités de son gouvernement dans le fiasco sécuritaire du 7 octobre 2023, Netanyahou a lancé une grande contre-offensive, de court mais aussi de moyen terme, contre les ennemis d'Israël, afin de les annihiler. Il a fait la guerre impitoyablement, d'abord à Gaza contre le Hamas, puis au Liban contre le Hezbollah, sans prendre en considération l'émotion ni même l'indignation des opinions internationales face à l'ampleur des destructions et des victimes civiles, sans se laisser arrêter par la perte de réputation de l'État hébreu à travers la planète.
Il reste aujourd'hui au premier ministre Netanyahou à s'attaquer à ce qu'il appelle la tête de la pieuvre, à savoir le régime théocratique de l'Iran. Toute la question est désormais de savoir si Trump a décidé de l'encourager ou de le retenir dans cette action. Elle prendrait la forme d'un bombardement en profondeur des installations iraniennes de recherche nucléaire et d'enrichissement d'uranium.
Sur ce sujet, il y a actuellement une entente absolue entre Netanyahou et Trump: tous les deux refusent ne serait-ce que l'hypothèse d'un Iran nucléarisé. La hantise de Trump est que l'Iran se dote de la bombe atomique durant son second mandat présidentiel (janvier 2025-janvier 2029). Pour parler par litote, le futur 47 président des États-Unis n'est pas un homme à l'ego sous-dimensionné. Il cherche désormais à sculpter sa statue pour l'avenir. Il ne veut surtout pas qu'on se souvienne de lui comme d'un loser.
Barack Obama avait, en septembre 2013, laissé les Syriens d'el-Assad piétiner les lignes rouges qu'il avait lui-même tracées, envoyant ainsi un message planétaire de faiblesse, que les Russes ne manquèrent pas d'exploiter, six mois plus tard, en Crimée.
Trump n'enverra jamais de message de faiblesse. Certes, il est le contraire d'un néoconservateur; certes, il n'est pas belliciste; certes, il préfère la paix à la démocratie imposée par la force des armes. Mais sa réluctance pour la guerre et pour les opérations extérieures n'équivaut pas à de la faiblesse. Trump préfère les deals à la guerre. Mais il ne se laissera pas pour autant intimider par l'axe actuel des quatre dictatures, Iran-Russie-Corée du Nord-Chine. En matière de diplomatie, Trump est fondamentalement attaché au vieux principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. Il est contre l'ingérence américaine et les expéditions néoconservatrices de changement de régime mais il est également contre l'ingérence russe en Ukraine et en Syrie, contre l'ingérence de l'Iran chez ses voisins arabes, contre l'ingérence de Pékin en mer de Chine méridionale.
Dans l'entourage du président élu américain, on se demande si la diplomatie classique assortie de pressions économiques grandissantes suffira à obliger l'Iran à renoncer à l'arme nucléaire, ou si l'Amérique doit envisager une action militaire, en coordination avec son ami israélien.
Steve Witkoff, le Moghol de l'immobilier que Trump a choisi comme son envoyé spécial pour le Moyen-Orient, vient de se rendre dans le golfe Persique pour y interroger les dirigeants des pétromonarchies alliées des États-Unis, sur l'opportunité de frappes contre les sites nucléaires iraniens. Sans vouloir exclure cette dernière option, les princes arabes ont recommandé aux Américains de rechercher, auparavant, d'autres options.
Il y a évidemment celle du «grand bargain», de la négociation générale sur tous les sujets, telle que la voulaient les dirigeants iraniens réformateurs en 2005, qui avaient trouvé porte close auprès de l'Administration néoconservatrice du président George W. Bush. Cette option a été testée par Elon Musk, le plus proche ami politique de Trump, lorsque le patron de Tesla est allé rendre visite secrètement à l'ambassadeur iranien auprès des Nations unies à New York. Contre le renoncement par Téhéran à la bombe atomique et à l'axe chiite de résistance à Israël, la future Administration américaine serait prête à envisager une levée progressive des sanctions, ce qui permettrait à la Perse de redevenir la grande puissance commerciale qu'elle était du temps du chah. Trump ne s'interrogera jamais sur les droits de l'homme en Iran, car cela équivaudrait à ses yeux à de l'ingérence.
Nous sommes donc à une période très particulière, nous sommes parvenus à ce que les Anglo-Saxons appellent un «tipping point» («point de basculement »). On peut, très vite, soit basculer vers une guerre Occident-Iran, soit parvenir à un grand bargain, une grande négociation productrice de paix. En Iran, les réalistes prendront-ils le pas sur les idéologues? Téhéran saisira-t-il la main que lui tendent, de manière souvent désordonnée et masquée, les Occidentaux? Netanyahou comprendra-t-il que l'urgence devient pour lui de transformer en acquis politiques ses victoires militaires? Comprendra-t-il que, sur le long terme, la guerre perpétuelle constitue un danger existentiel pour Israël, car elle risque de provoquer un jour le départ de ses élites, attachées à une société libérale, où l'on vive en paix avec ses voisins?
Trump se laissera-t-il entraîner dans un conflit ou saura-t-il, dès le 20 janvier prochain, avec la formidable énergie qui est la sienne, imposer à ses adversaires moyen-orientaux comme à ses amis israéliens une dynamique de paix et de réconciliation? Obama avait obtenu le prix Nobel de la paix pour de mauvaises raisons. Est-il fou de rêver que Trump l'obtienne un jour pour de bonnes raisons?
LE FIGARO