CHRONIQUE - L’État hébreu devra choisir entre conserver le contrôle militaire de 100% de la Palestine mandataire - et continuer à vivre dans le chaos intermittent - ou en lâcher 22% pour la création d’un État palestinien démilitarisé et la paix à ses frontières, analyse notre chroniqueur.
En Israël, où je me trouve depuis dix jours, l’idée fait consensus de détruire le Hamas jusqu’au bout. La société a été traumatisée, non seulement par l’étendue de ses pertes le 7 octobre 2023 - 1250 tués, soit huit fois plus que durant toute la seconde guerre libanaise (été 2006) -, mais aussi par la barbarie des crimes commis par les terroristes du Hamas contre des civils pacifiques.
Le 12 juillet 2006, le Hezbollah avait également attaqué le territoire internationalement reconnu d’Israël. Mais c’est à une patrouille de soldats que s’en était pris le mouvement chiite libanais. On était là dans la guerre classique. Le 7 octobre 2023 ressemble en revanche à un pogrom. Les atrocités commises contre les femmes israéliennes par les assaillants palestiniens en disent long sur la qualité de leur éducation islamique par le Hamas. La branche palestinienne des Frères musulmans a montré une sauvagerie qui justifie son annihilation, aux yeux des Israéliens.
Non sans raison, les Israéliens se disent aujourd’hui que si Israël avait perdu une seule des six guerres que ses voisins arabes et musulmans lui ont livrées en trois quarts de siècle, il n’y aurait probablement plus un seul Juif vivant aujourd’hui en Terre sainte. Dans l’histoire, le monde arabomusulman a toléré les Juifs, mais seulement en dhimmis, en citoyens de seconde zone. Dès qu’ils ont cherché à gagner leur autonomie politique, ils ont été violemment rejetés. Depuis 1948, l’État hébreu a dû vivre dans un environnement arabo-musulman hostile à son existence même.
Dans une guerre révolutionnaire comme celle que pratique le Hamas (lire notre chronique du mardi 17 octobre), il suffit au mouvement islamiste de ne pas perdre complètement, de continuer à se montrer militairement actif, pour prétendre à la victoire. C’est ce qu’avait fait le Hezbollah libanais après la guerre de l’été 2006. Aujourd’hui, le gouvernement israélien n’a pas l’intention de fournir le moindre cadeau à la propagande du Hamas.
Mais est-ce une raison pour Israël de se fabriquer à la chaîne de nouveaux ennemis ? C’est exactement la question qu’a posée, le 3 décembre 2023, le secrétaire américain à la Défense lorsqu’il a dit qu’Israël allait, en poursuivant ses bombardements indiscriminés sur une zone aussi densément peuplée que le sud de la bande de Gaza, transformer une victoire tactique en défaite stratégique. Une chose est d’empêcher Gaza de redevenir une base d’attaques contre le territoire israélien, une autre est de créer des milliers d’orphelins, qui seront demain les ennemis les plus résolus du peuple juif.
Quand on entend les critiques se multiplier, même en Amérique, fidèle allié d’Israël, on se dit qu’il est temps que la droite israélienne arrête de faire n’importe quoi. Il est temps qu’elle mette à l’ombre ces colons fanatiques à la gâchette facile en Cisjordanie. Il est temps que Tsahal cesse de détruire les infrastructures qui seront demain indispensables à une vie normale à Gaza.
Mais, après tant de souffrances des deux côtés, le plus important est la carte que devrait préparer l’État hébreu pour le lendemain de la guerre. Veut-il continuer à vivre dans ce chaos intermittent, en conservant le contrôle militaire de 100 % de la Palestine mandataire, ou est-il prêt à en lâcher 22 %, pour la création d’un État palestinien démilitarisé et la paix à ses frontières ?
L’heure de vérité approche pour Israël. Il s’est imprudemment désengagé unilatéralement de la bande de Gaza en 2005 - ce qui a permis au Hamas de la prendre par la force -, plutôt que d’en confier progressivement les rênes à l’Autorité palestinienne, et de l’aider à y construire un modèle de développement sui generis.
Aujourd’hui, il convient de reprendre, où elles en étaient, les négociations Olmert-Abbas de l’été 2008. Le leader palestinien a commis l’erreur de ne pas saisir l’offre généreuse faite alors (trois blocs de colonies annexés par Israël représentant 80 % des colons, un État palestinien sur 94 % de la Cisjordanie, les 6 % restants prélevés sur le Néguev israélien, couloir souverain reliant Gaza à la Cisjordanie, capitale palestinienne dans les quartiers arabes de Jérusalem, administration internationale des lieux saints). Ce n’est pas une raison pour ne pas la reprendre.
Il appartiendra aux puissances régionales de convaincre les Palestiniens de l’impossibilité d’un retour en Israël des réfugiés arabes de 1948, le pays souhaitant rester un État juif. L’Amérique a les moyens de porter politiquement cette solution et les pétromonarchies de la financer.
Mais l’heure de vérité sera aussi celle des Palestiniens. S’ils ne saisissent pas la main tendue et l’occasion de construire leur État, s’ils s’obstinent dans leur rêve de jeter les Juifs à la mer, alors on ne pourra plus rien pour eux. Ils auront mérité leur funeste sort.
Le Figaro