CHRONIQUE - Entre les craintes suscitées par la création d’un État palestinien et la lassitude que générerait une guerre sans fin, Benyamin Netanyahou devra répondre aux attentes de sa population sur le long terme.
Dans ce dernier week-end du mois d’août 2024, Israël a, encore une fois, pu montrer à ses voisins, ennemis comme amis, sa puissance. Puissance technologique et militaire, avec la destruction des rampes de lancement du Hezbollah libanais, quelques minutes avant qu’elles s’apprêtent à lancer leurs missiles sur Haïfa et Tel-Aviv. Puissance diplomatique et politique, avec la confirmation de son lien stratégique avec les États-Unis.
Cette semaine, ce dernier a été incarné par la visite du chef d’état-major américain à Tel-Aviv, ainsi que par le refus de la convention démocrate de donner la parole à sa propre minorité propalestinienne. Ce lien très spécial de l’État hébreu avec Washington est lié à l’histoire du Parti démocrate. Il est ancien, mais loin d’être centenaire. Il ne remonte pas à l’époque du président Roosevelt, qui fut pourtant très soutenu par la communauté juive américaine. Lors de sa rencontre avec le roi d’Arabie saoudite le 14 février 1945, sur le croiseur USS Quincy, mouillé dans le lac Amer du canal de Suez, le président américain promit que son pays ne soutiendrait jamais la création d’un État juif en Palestine contre l’avis des Arabes (voir Ibn Saoud, Seigneur du désert, roi d'Arabie, l’excellente biographie que Christian Destremau vient de publier chez Perrin). Par une lettre écrite le 5 avril 1945 (soit une semaine avant de mourir), Franklin Roosevelt le confirma à son «great and good friend» Ibn Saoud, très hostile au projet d’un État juif en terre arabe.
Ce lien très étroit-qui n’est toutefois pas une alliance sanctionnée par un traité voté par le Sénat remonte à Truman, qui déploiera un maximum d’efforts diplomatiques pour obtenir, en novembre 1947, une majorité des deux tiers à l’Assemblée générale des Nations unies, indispensable à la création d’un futur État juif, sur 56% du territoire de la Palestine du mandat britannique.
Ce lien très spécial, que Benyamin Netanyahou présente comme celui de deux nations démocratiques combattant ensemble pour les valeurs de la civilisations occidentale, fait que de la Washington offre toujours à son protégé israélien le manteau d’une triple protection. La protection militaire est aujourd’hui incarnée par la livraison de bombes sophistiquées et par l'envoi en Méditerranée d’escadres navales dissuasives lorsqu'une menace extérieure pèse sur Israël. La protection économique se retrouve dans des dons considérables et la garantie américaine des emprunts israéliens. La protection politique se fait au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies, où l’Amérique a opposé 46 vétos à des résolutions condamnant son ami israélien.
Grâce à la puissance de son armée - qui est celle de l’ensemble du peuple - et deson lien avec l’Amérique, Israël n’a rien aujourd’hui à craindre de l’extérieur. L’Iran ne s’est même pas montré capable de protéger, à Téhéran, son hôte officiel Ismaël Haniyeh, président du Hamas palestinien, face aux menées du Mossad.
La menace surplombant l’État hébreu est plutôt intérieure. Au sein des frontières de la Palestine mandataire que contrôle Tsahal, vivent sept millions de Juifs et sept millions d'arabes, pour la plupart musulmans (les chrétiens ne sont pas plus que 200000). La majorité de ces Arabes, qu’ils soient peu ou très religieux, considèrent que la création d’un État juif en Palestine est un crime historique du colonialisme occidental, ils lui dénient encore aujourd’hui toute légitimité, ils disent qu’il finira par disparaître, comme disparut le royaume franc de Jérusalem, après 192 ans d’existence.
Pour contourner le problème du nationalisme palestinien, Netanyahou avait élaboré, avec l’aide de ses amis américains de l’Administration Trump, la fort intelligente stratégie des accords d’Abraham. Il s’agissait de forger des liens diplomatiques avec des Arabes lointains, comme les Émiratis, les Bahreïniens, les Marocains ou les Soudanais, deconstruire avec eux une sphère de coopération sécuritaire, économique et culturelle, afin d’étouffer, au sein même du monde arabe, lesaspirations nationalistes palestiniennes. Le chef du Likoud était en passe de réussir son pari, car le propre petit-fils d’Ibn Saoudite, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), avait pris au début de 2023 la décision de principe de rejoindre ces accords de d’Abraham.
Mais les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, non anticipées par Netanyahou, mirent toute cette belle stratégie par terre. En représailles au pogrom contre les kibboutzim pacifiques frontaliers de Gaza, et dans le but d’éliminer le mouvement islamiste palestinien, Tsahal se lança dans une guerre générale, qui détruisit les deux tiers des habitations de la bande de Gaza, et tua plus de 20 000 femmes et enfants palestiniens. L’indignation est telle dans les sociétés arabes que MBS a dû renoncer à son projet.
Sur le court terme, Israël paraît être un État en bonne santé, doté d’une économie innovante, d’une armée forte, d'alliés puissants. Mais sur le long-terme, il est confronté à un grand dilemme stratégique. Ses alliés occidentaux lui conseillent de faciliter la création d’un État palestinien sur les territoires de Gaza et de Cisjordanie qu’il a conquis en 1967, lesquels représentent une superficie équivalente à 22% de la Palestine mandataire. Avec de mini-échanges territoriaux en Galilée ou dans le Néguev, il est facile d’intégrer 80% des colons israéliens de Cisjordanie dans le territoire d’un Israël internationalement reconnu. Les solutions existent; elle sont déjà été négociées par les anciens premiers ministres Barak et Olmert. Les Occidentaux considèrent qu’elles constituent la seule voie possible vers la paix au Levant.
Mais Netanyahou n’y croit pas. Lorsqu’il m’a reçu àTel-Aviv au mois de juin 2024 et que je défendais le plan de paix occidental, il m’a répondu : «Si nous laissons un État palestinien se créer, garantissez-vous que jamais il ne nous attaquera?» Je ne savais pas quoi lui répondre, conscient que la France ou l’Europe ne seraient jamais en mesure de lui donner une telle garantie. Mais l’autre branche du dilemme, la guerre répression sans fin des Palestiniens, n’est pas plus réjouissante. Car elle n'apporte aucune sécurité réelle. LesFrançais se sentent en sécurité à leurs frontières car ils savent qu’il n’y a pas un Allemand qui veut reprendre Strasbourg. Le grand danger pour une survie séculaire d’Israël est qu’un jour ses élites se lassent de cet état de guerre perpétuelle et se mettent à opérer une alya à l'envers, de la Terre Sainte vers l’Europe et les États-Unis.
Il était légitime que Nétanyahou s’adresse à sa nation pour expliquer ses frappes préventives contre le Hezbollah, et rappeler qu’Israël ne se laisserait jamais intimider par ses ennemis. Mais ce n’est que du court terme. S’il veut rester dans l’Histoire, il faudra bien un jour qu’il propose à son peuple une résolution du dilemme stratégique qui l’étouffe à petit feu.