CHRONIQUE - Les États-Unis ont réussi à la fois une nouvelle percée politique au Moyen-Orient et un plaquage commercial de son grand rival chinois.
Par Renaud Girard - Le Figaro
Le samedi 9 septembre 2023 au soir, à l’issue du repos du shabbat, Benyamin Netanyahou a fait une courte mais dense allocution à la télévision israélienne. Le premier ministre voulait faire savoir à sa nation, très forte technologiquement, que son territoire allait devenir le maillon central d’un couloir économique reliant l’Inde à l’Europe, via les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la Jordanie. Ce couloir se prolongera de la côte méditerranéenne d’Israël au sud de la botte italienne.
Cet immense projet, concurrençant directement les routes de la soie chinoises, impliquera la construction de nouvelles facilités portuaires, de nouvelles lignes de chemin de fer, de lignes électriques à très haute tension, de pipelines d’hydrogène, de câbles de fibres optiques. Le premier ministre israélien a remercié l’Inde, les États arabes concernés, l’Union européenne, la France, l’Allemagne et l’Italie. Le 4 septembre, l’Italie avait annoncé qu’elle quittait le club des pays membres de la route de la soie. Elle était le seul pays du G7 à avoir adhéré au gigantesque schéma économique lancé à l’automne 2013 par le président chinois Xi Jinping.
Benyamin Netanyahou a expliqué que c’était le plus important projet de coopération internationale de l’histoire de l’État hébreu. Quand on se souvient qu’en novembre 1947, l’Inde et l’Arabie saoudite avaient voté à l’Onu contre la création de l’État d’Israël (la Jordanie et les Émirats n’existaient pas à l’époque comme États indépendants membres de l’Onu), on mesure les progrès diplomatiques réalisés par l’État juif depuis mai 1948, date de son indépendance. Le 10 septembre 2023, pour la première fois de l’histoire, une délégation israélienne foulait officiellement le sol saoudien– à l’occasion de la 45e édition du Comité du Patrimoine mondial de l’Unesco, à Riyad. Au début de l’été, le pouvoir saoudien a supprimé, dans les manuels scolaires, les références à « l’ennemi sioniste ». Après l’Égypte, la Jordanie, les Émirats, Bahreïn, le Maroc, le Soudan, l’Arabie saoudite sera sans doute bientôt le septième État arabe à ouvrir une ambassade en Israël. Les États-Unis, parrain d’Israël depuis Truman, sont le pays ayant le plus contribué à ces reconnaissances diplomatiques, notamment depuis les accords d’Abraham, initiés par Trump en août 2020.
Dans son allocution, le premier ministre israélien a adressé des remerciements particuliers à l’Administration Biden, pour avoir eu l’idée de ce corridor, et l’avoir proposée à Israël, « il y a plusieurs mois ». C’est la preuve que l’Amérique a su réagir, avec inventivité et réalisme, au revers diplomatique qu’elle avait subi lors de la rencontre de Pékin entre les ministres des affaires étrangères saoudien et iranien, le 10 mars 2023.
Dans l’histoire diplomatique contemporaine, l’Amérique s’est souvent comportée comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Mais, là, il faut reconnaître qu’elle a agi avec intelligence et finesse. Elle a réussi à la fois une nouvelle percée politique au Moyen-Orient et un plaquage commercial de son grand rival chinois. Puissance militaire incontestée dans le Golfe arabo-persique depuis qu’elle libéra le Koweït en janvier 1991, l’Amérique avait néanmoins, en ce début de XXIe siècle, déçu à quatre reprises ses alliés des pétromonarchies arabes sunnites.
En mars 2003, elle avait, sans nécessité, envahi l’Irak et détruit son administration baasiste, livrant sans le vouloir le pays à l’influence iranienne. En février 2011, séduite intellectuellement par la dynamique « démocratique » des printemps arabes, l’Amérique n’avait pas soutenu la monarchie bahreïnie, confrontée au mouvement chiite de la « révolution de la Perle ». En 2015, elle n’avait pas soutenu la guerre contre les chiites houthistes du Yémen, enclenchée par les Saoudiens et les Émiriens. En 2018, sous Administration républicaine, elle s’était retirée unilatéralement du JCPOA, l’accord de dénucléarisation de l’Iran signée à Vienne le 14 juillet 2015 – provoquant la renucléarisation du régime des mollahs, privé de solution de rechange.
Nourries par cette quadruple déception, les pétromonarchies, à commencer par l’Arabie saoudite, se mirent à s’autonomiser par rapport à Washington et à chercher des partenariats avec d’autres puissances, telles que la Russie et la Chine. Autant de banderilles plantées dans le projet américain constant d’isolement de la triplice des dictatures chinoise, russe et perse.
Le graal pour la diplomatie de Biden serait évidemment de parvenir à arracher l’Iran à la triplice. De discrètes discussions existent en ce sens. Mais il est encore beaucoup trop tôt pour juger de leurs chances de survie, face aux aléas des politiques intérieures, à Washington comme à Téhéran.