CHRONIQUE - Le 25 mars, les États-Unis se sont abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU, permettant ainsi le passage d’une résolution sur la guerre à Gaza exigeant « un cessez-le-feu immédiat ». Un signe que l’Administration Biden ne soutient plus le gouvernement Netanyahou coûte que coûte.
Le Figaro
C’est un changement important qui vient de se produire dans la relation américano-israélienne. Le 25 mars 2024, les États-Unis, alliés historiques de l’État hébreu, se sont abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU, permettant ainsi le passage d’une résolution sur la guerre à Gaza exigeant « un cessez-le-feu immédiat pour le mois de ramadan », devant « mener à un cessez-le-feu durable ».
Le premier ministre israélien a vivement critiqué cette abstention, déclarant qu’elle « nuisait » à la fois à son effort de guerre contre le Hamas, et à ses efforts pour libérer les otages israéliens retenus à Gaza, dont une centaine seraient encore vivants. Pour marquer son mécontentement, Benyamin Netanyahou avait même annulé la visite d’une délégation israélienne à Washington.
C’est la première fois depuis la présidence de George H. W. Bush (1989-1993) que l’Amérique indique aux Israéliens que son soutien ne saurait être inconditionnel. La première puissance militaire et financière du monde soutient évidemment toujours le droit sacré des Israéliens à vivre dans la prospérité et la sécurité, mais elle souhaite leur rappeler qu’ils ne sauraient faire n’importe quoi éternellement.
Pour l’Administration Biden, la légitime riposte militaire israélienne contre le Hamas après le pogrom du 7 octobre 2023 (1 200 personnes massacrées), est allée trop loin. Par l’ampleur des dégâts collatéraux (33 000 Palestiniens tués, selon le Hamas, dont 65 % de femmes et d’enfants, plus des deux tiers des habitations et des infrastructures détruites, début de famine et d’épidémies), l’intervention militaire israélienne à Gaza ressemble davantage à une punition collective et à un drame humanitaire qu’à une opération chirurgicale antiterroriste réussie.
Les Américains sont sensibles à l’émotion montant chez leurs alliés arabes (Maroc, Égypte, Jordanie, pétromonarchies du Golfe…) comme dans l’entièreté du « Sud global ». Ils redoutent aussi, pour plus tard, l’éclosion d’une génération d’orphelins palestiniens rêvant de venger leurs parents.
Au-delà des aspects militaires et humanitaires de la riposte israélienne (laquelle se fait en partie avec des bombes de fabrication américaine), une divergence de fond sépare l’Administration démocrate américaine du gouvernement Likoud israélien. La première juge publiquement nécessaire la constitution d’un État palestinien, alors que le second estime, sans le dire, que cet État existe déjà et qu’il s’appelle la Jordanie.
L’adhésion des États-Unis à un État Juif sur le territoire de la Palestine mandataire (confiée par la SDN à l’administration britannique lors de la Conférence de San Remo de 1922) remonte au président Harry Truman. Lorsque le président Franklin Delano Roosevelt rencontra Ibn Séoud, en février 1945, sur le croiseur Quincy, l’Américain promit au Saoudien qu’il n’y aurait jamais d’État juif en Palestine. Mais, avec Truman, les choses changent car les Américains ont pris conscience de la réalité de la Shoah. Cette dernière valide à leurs yeux le développement du sionisme. Voilà pourquoi l’Amérique vote, en novembre 1947, en faveur du plan de partage de l’ONU, qui prévoit la partition de la Palestine mandataire en deux États, l’un juif, l’autre arabe.
L’Amérique est également très admirative du travail de développement du pays accompli par les Juifs ayant fait leur alyah en Palestine. La magnifique Tel-Aviv a remplacé un marécage impaludé. Mais les États-Unis estiment qu’il y a également une forte légitimité des Palestiniens, qui habitent la Terre sainte depuis des siècles. Voilà pourquoi ils soutiennent à l’époque le partage de 1947 (sur une base de 56 %-44 %) et pourquoi ils accueilleront, en 1993, la signature des accords Rabin-Arafat, prévoyant la création progressive d’un État palestinien sur les territoires de Gaza et de Cisjordanie (pris par Tsahal en 1967, respectivement à l’Égypte et à la Jordanie).
À l’exception de la communauté évangélique américaine, la majorité des Américains estiment que la solution du partage est la meilleure. Les chrétiens évangéliques américains s’entendent avec les sionistes religieux israéliens pour refuser toute idée de partage territorial de la Palestine. Car ils font une lecture littérale des textes sacrés : Dieu ayant donné cette terre à Moïse pour le peuple élu, il n’y a pas de discussion, ni de concession possible.
L’extrémisme actuel de la droite israélienne risque de lasser un jour une Amérique qui reste soucieuse de son image internationale. Netanyahou devrait faire très attention à ce que n’arrive pas un jour à Israël ce qui arriva à la France, laquelle fut brutalement abandonnée par l’Amérique. En 1917-1918, les Américains vinrent mourir pour la France, qui avait été agressée par l’Allemagne en 1914. Mais, en 1920, les États-Unis ne ratifièrent pas le traité de Versailles (qu’ils avaient pourtant négocié), et refusèrent d’aider la France contre l’Allemagne nazie en 1940. Avec les accords d’Abraham (2020), les Américains ont beaucoup fait pour mieux intégrer Israël dans son environnement régional, arabe et musulman. C’est une dynamique qu’Israël serait bien avisé de sauvegarder à tout prix.