Renaud Girard : «Les risques de la guerre préventive d’Israël»

Renaud Girard : «Les risques de la guerre préventive d’Israël»
الثلاثاء 17 يونيو, 2025

CHRONIQUE - Avec cette guerre, l’État hébreu va voir son image se dégrader encore davantage. Surtout, elle risque de l’entraîner dans un conflit sans fin.

Déclenchée le 12 juin 2025, la guerre préventive d’Israël contre les infrastructures nucléaires de l’Iran n’était-elle pas prématurée ? Y avait-il une urgence telle que le gouvernement de Jérusalem ne pouvait pas attendre la fin du cycle des négociations américano-perses, entamées il y a deux mois sous la houlette du sultanat d’Oman ? Le premier ministre israélien a-t-il bien mesuré les risques qu’une telle guerre, à moyen et long terme, peut faire courir à Israël, à l’ensemble du Moyen-Orient, et même au monde entier ?

En ce qui concerne Israël, Benyamin Netanyahou a toujours dit qu’une République islamique d’Iran dotée de l’arme atomique faisait, en raison de son idéologie, courir un risque existentiel au pays qu’il dirige. On peut penser que le chef du Likoud exagère conjoncturellement la menace, mais on ne peut pas lui donner totalement tort sur le fond. L’histoire a en effet démontré qu’il était dangereux de ne pas prendre les dictatures au mot. Or la théocratie iranienne s’est permise, depuis une vingtaine d’années, de traiter l’État juifde «tumeur cancéreuse», d’affirmer qu’il résultait d’une erreur historique et qu’il devait donc être «rayé de la carte» du Proche-Orient.

Dans les années 1930, beaucoup d'Européens, juifs ou non, commirent l'erreur de ne pas prendre à la lettre les propos d'Adolf Hitler dans Mein Kam-pf. Trois ambitions structuraient son livre : briser la France, conquérir de l'espace vital à l'Est, exter-miner les Juifs d'Europe (qualifiés de «vermine »). C'est exactement ce que fit le maître du Troisième Reich à partir de 1939. Netanyahou estime qu'il est de son devoir de protéger le peuple juif d'un second holocauste.

Cependant, pouvons-nous dire que l'Iran cherchera vraiment, un jour, à effacer physiquement, par un bombardement nucléaire, le résultat de 140 ans de sionisme ? Israël étant un pays doté de cent cinquante têtes nucléaires, les ayatollahs iraniens seraient-ils irrationnels au point de risquer une riposte qui vitrifierait l'ensemble du territoire de la Perse ? C'est très peu probable. Mais on peut entendre les Israéliens qui ne veulent pas prendre le moindre risque. En effet, si l'État hébreu perdait un jour une guerre, le monde arabo-musulman qui l'entoure ne lui donnerait jamais une deuxième chance.

Le côté négatif pour l'État hébreu de cette guerre préventive est qu'elle risque de l'entraîner dans un conflit sans fin. La vraie sécurité pour un État réside moins dans sa force militaire que dans la qualité de ses relations avec ses voisins. Nous, Français, nous nous sentons en sécurité dans notre environnement européen, car il n'y a plus un seul Allemand pour revendiquer l'Alsace de même qu'il n'y a pas un Français qui lorgne encore sur la rive gauche du Rhin.

Il me paraît flagrant que les accords d'Abraham ont fait progresser la sécurité d'Israël. Parrainés par Donald Trump lors de son premier mandat, ils ont créé des liens diplomatiques entre l'État juif et quatre membres de la Ligue arabe (les Émirats ara-bes unis, Bahreïn, le Maroc, le Soudan) - lesquels s'ajoutent à l'Égypte et à la Jordanie, en paix avec Israël depuis plus d'une génération. La vraie sécurité pour Israël sera atteinte lorsqu'il entretiendra d'intenses liens politiques, culturels, économiques avec la totalité de ses voisins du monde arabo-mu-sulman, à l'image de la France avec ses voisins européens depuis 1945.

En revanche, il ne me paraît pas flagrant que la guerre préventive de Netanyahou contre l'Iran accroîtra à long terme la sécurité d'Israël. Elle ne va sûrement pas améliorer l'image d'Israël dans le monde, déjà très dégradée par ses opérations à Gaza. Le premier ministre israélien a appelé les Iraniens à se soulever contre leur gouvernement, certes peu populaire. Mais quelles chances a cet appel d'être entendu ? La population, qui constate les destructions en plein Téhéran, ne risque-t-elle pas d'être, au contraire, saisie par un réflexe nationaliste ?

Après l'accord de Vienne du 14 juillet 2015, l'Iran avait arrêté son enrichissement d'uranium. Cela avait été constaté par onze inspections successives de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique). C'est seulement après que l'Amérique se fut retirée unilatéralement de l'accord en 2018 que l'Iran, constatant qu'il était toujours commercialement boycotté par les Occidentaux, reprit progressivement l'enrichissement de son uranium. Mais Trump avait relancé les négociations avec Téhéran depuis deux mois, afin d'obtenir un nouvel accord garantissant la dénucléarisation iranienne. Les frappes israéliennes de l'Iran (avec des bombes d'origine souvent américaine) ont interrompu ce processus bénéfique pour la non-prolifération au Moyen-Orient. Israël n'aurait-il pas pu attendre et donner toutes ses chances à la négociation américano-iranienne ? La question se pose très sérieusement.

Dans les relations internationales, les solutions issues d'une négociation diplomatique sont toujours plus solides que celles imposées par la force.

Ayant été agressé par une puissance nucléaire (Israël), il est très probable au demeurant que l'Iran dénonce prochainement sa participation au TNP (traité de non-prolifération nucléaire de 1968) et développe à pleine vapeur son programme nu-cléaire militaire, aidé ou non par les Coréens du Nord et les Pakistanais.

La suite est sombre pour le Moyen-Orient, qui risque d'être plongé dans une course à l'armement nucléaire. Car si l'Iran a la bombe, l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Égypte, les Émirats arabes unis la voudront certainement à leur tour.

Et c'est là que les cinq grandes puissances membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, responsables en dernier ressort de la sécurité de la planète, auront un gros problème. Comme l'ont montré la crise de 1962 entre l'Amérique et l'Union soviétique et celle de 1999 entre l'Inde et le Pakistan, où l'on est passé à deux doigts d'un usage effectif de l'arme atomique, le jeu nucléaire, même à seulement deux acteurs, peut très facilement déraper. Un jeu nucléaire à six acteurs au Moyen-Orient serait carrément ingérable.

Les guerres préventives occidentales en terre d'islam du début du XXIe siècle, celle d'Irak en 2003, et celle de Libye en 2011, ont abouti à des catastrophes régionales, qui ne sont toujours pas résolues. On ne voit pas pourquoi la guerre préventive israélienne d'Iran en 2025 échapperait à la règle.

À juste titre, les Occidentaux ont condamné très haute voix la guerre préventive de Moscou contre l'Ukraine de 2022, censée prémunir la Russie d'une installation de missiles de l'Otan à ses frontières. Aujourd'hui, ils gardent le silence sur la guerre préventive israélienne. Ils courent un risque aigu d'être accusés de deux poids, deux mesures, par les populations des pays du Sud global.

Il reste un espoir pour que l'affaire ne vire pas au désastre mondial que l'Amérique mette tout son poids dans la balance, obtienne un cessez-le-feu, et relance les négociations avec Téhéran. Mais Donald Trump, ligoté par ses préjugés, ose-ra-t-il le faire?