CHRONIQUE - Si le gouvernement Netanyahou s’obstine à refuser toute négociation, la victoire militaire attendue de Tsahal sur le Hamas ne permettra pas de mieux intégrer Israël dans son environnement régional.
Le Figaro
Même si le Hezbollah libanais continue à s’abstenir d’ouvrir un réel deuxième front arabe contre Israël, la paix n’est pas pour demain au Proche-Orient. Dans une interview à la chaîne américaine ABC News, diffusée le 11 février 2024, Benyamin Netanyahou a pourtant dit que la « victoire » était « à portée de la main » et que les forces israéliennes allaient détruire les derniers bataillons du Hamas, lesquels sont retranchés au sud de la bande de Gaza, dans la ville populeuse de Rafah.
Tsahal n’a pas trouvé Yahya Sinwar, le chef militaire du Hamas, ni à Gaza Ville, ni à Khan Younes. Les soldats israéliens le trouveront-ils à Rafah, où se sont réfugiés plus de 1 million de déplacés civils palestiniens ? On peut avoir des doutes. Mais on peut aussi comprendre que le gouvernement israélien veuille la destruction totale du mouvement islamiste palestinien, afin de garantir à sa population que le pogrom du 7 octobre 2023 ne se reproduira jamais.
À court terme, le cabinet de guerre israélien va devoir faire un arbitrage délicat : pour opérer un nettoyage militaire efficace de la zone de Rafah, quelle catastrophe humanitaire dans la population palestinienne est-il prêt à porter, combien d’otages juifs est-il prêt à sacrifier ?
Les pressions, de l’extérieur comme de l’intérieur, qui s’exercent sur lui sont considérables. À l’extérieur, il n’y a pas que les Saoudiens et les Égyptiens pour avoir objurgué Israël de ne pas porter le fer à Rafah. Les Américains, les Anglais, les Néerlandais, les Allemands, les Français sont sur la même ligne. Joe Biden a estimé publiquement que les Israéliens avaient dépassé la mesure dans leurs représailles, considérées au départ comme légitimes.
À l’intérieur, se multiplient les manifestations, à Tel-Aviv mais aussi à Jérusalem, pour exiger du gouvernement qu’il adopte, comme priorité politique, la négociation pour la libération des otages. Ces Israéliens, kidnappés le 7 octobre par les commandos du Hamas, seraient aujourd’hui autour de 120 à être encore détenus et en vie. À leur égard et à l’égard de leurs familles, le gouvernement israélien a une lourde dette : c’est l’échec de sa politique sécuritaire qui a provoqué leur enlèvement.
Quels que soient les moyens employés, d’ici à la fin du printemps 2024, le gouvernement israélien pourra prétendre à son peuple que les conditions de sa sécurité auront été rétablies. La puissance militaire du Hamas aura été réduite à néant. Face aux peuples arabes, le pouvoir de dissuasion d’Israël aura été restauré.
Une zone tampon de deux kilomètres de large sera créée au nord de la bande de Gaza : les Caterpillar géants sont déjà arrivés des États-Unis, qui vont tout y aplatir et créer un no man’s land désert et infranchissable sans être vu. Tant pis si cela réduit d’autant le territoire habitable pour les deux millions de Palestiniens vivant à Gaza.
L’actuel premier ministre préconise le rétablissement d’un gouvernement militaire israélien à Gaza, comme de 1967 à 2005. On souhaite bonne chance aux généraux qui en seront chargés. Il faudra reconstruire un minimum, sur le tas de cendres actuel. L’Union européenne et les pétromonarchies du Golfe accepteront-elles à nouveau de payer ? Rien n’est moins sûr…
Mais le long terme est encore plus incertain que le moyen terme pour Israël. L’État juif doit se rendre compte qu’il a, sans le vouloir, réunifié l’ensemble du monde arabo-musulman contre lui. Au cours des années 2003-2023, la guerre religieuse sunnites-chiites, ravivée par l’invasion anglosaxonne de l’Irak, avait éclipsé le conflit israélopalestinien, le renvoyant à la périphérie des préoccupations de l’oumma. Aussi barbares qu’ils aient été dans leurs méthodes, les militants du Hamas ont réussi à le ramener au centre.
C’est là que le terme de « victoire » employé par Netanyahou dans son interview à ABC pose question. En Europe, nous fêtons toujours la « victoire » du 8 mai 1945. Mais c’est autant la longue période de paix qu’elle a engendrée sur notre continent que la capitulation des forces allemandes que nous célébrons. Qui croit sincèrement que la victoire militaire attendue de Tsahal sur le Hamas va mieux intégrer Israël dans son environnement régional ?
Maintenant qu’Israël, État jouissant d’une forte cohésion nationale et doté d’une armée de haut niveau, a fait preuve de sa force, il peut négocier. C’est quand on est fort qu’on peut faire des concessions, jamais quand on est faible.
Israël a dit qu’il ne négocierait jamais une paix avec le Hamas car c’est un mouvement terroriste. C’est absurde. Les Français ont bien négocié avec le FLN en Algérie, les Américains avec le Viêtcong au Vietnam, les Anglais avec l’IRA en Irlande.
Dans une guerre asymétrique, le terrorisme est l’arme des faibles. L’important quand on considère un ennemi asymétrique, ce ne sont pas ses méthodes, c’est sa représentativité au sein de la population avec laquelle on aspire à vivre en paix.
Qu’on le veuille ou non, le Hamas est représentatif au sein de la population palestinienne. Il faut donc l’inviter à la table des négociations, au même titre que le Fatah de Yasser Arafat, ou que les grands acteurs régionaux comme l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite.
Les Juifs et les Arabes ont des mentalités trop différentes pour vivre ensemble au sein d’un même État. La solution à deux États est donc la seule qui soit viable à long terme. Est-elle géographiquement et démographiquement difficile à dessiner ? Certes. Mais elle vaut l’effort. C’est en montrant qu’ils ont du respect pour les aspirations du peuple palestinien à un État, que les Israéliens s’attireront le respect et l’amitié des sociétés arabes voisines.
Il faudra évidemment une pression coordonnée des États occidentaux, soutiens d’Israël, et des États arabes, soutiens du peuple palestinien, pour que soient relégués les fanatismes religieux, qui voient dans la Palestine une terre entièrement juive (car donnée par Yahvé à Moïse) ou irrémédiablement musulmane (car ayant appartenu pendant des siècles au Dar al-Islam).
Si Israël n’accepte pas et ne travaille pas d’arrache-pied à cette solution - qu’avait déjà préconisée le premier ministre Rabin lorsqu’il signa les accords d’Oslo de 1993 -, j’ai bien peur que le pays ne s’engage dans la voie d’une guerre éternelle qui lui ferait courir, par lassitude de ses habitants juifs, un risque réellement existentiel.