Renaud Girard : « Une double tragédie se joue en Palestine »

Renaud Girard : « Une double tragédie se joue en Palestine »
الثلاثاء 27 مايو, 2025


CHRONIQUE - Le gouvernement Netanyahou ne semble pas comprendre qu’en déshumanisant ceux qu’il combat, il risque de finir par se déshumaniser lui-même.

Commencée par le pogrom du Hamas le 7 octobre 2023 sur le territoire israélien, la nouvelle guerre israélo-palestinienne a pris des proportions quasi apocalyptiques pour la population enfermée de la bande de Gaza.

Le 23 mai 2025, une frappe israélienne a tué, dans la région de Khan Younès (sud du territoire palestinien) neuf des dix enfants d’un couple de médecins. Les enfants étaient âgés de quelques mois à 12 ans. Le père, le Dr Hamdi al-Najjar, est actuellement traité à l’hôpital Nasser pour des blessures graves, et l’aîné des garçons, Adam, 11 ans, pour des blessures légères. La mère, Alaa, est indemne physiquement parce qu'elle tra vaillait à l'hôpital au moment du bombardement et n'était donc pas chez elle avec ses enfants. Comment Hamdi et Alaa pourront se remettre de la mort de Yahya, Rakan, Raslan, Gebran, Eve, Rival, Sayden, Luqman et Sidra, ces neuf petits êtres totalement innocents de la folie guerrière de leaders politiques maximalistes, israéliens comme palestiniens? Ces morts s'ajoutent à une liste de 55000 tués palestiniens par les bombar-dements vengeurs de Tsahal depuis le 8 octobre 2023, dont plus des deux tiers sont des civils.

Les 2 millions d'habitants de Gaza vivent actuellement la pire tragédie que les Palestiniens aient connue depuis 1948. Ils sont pris en étau entre la dictature islamiste belliciste d'une branche des Frères musulmans et les bombardements incessants d'un gouvernement israélien qui, faute d'avoir réussi à éradiquer militairement le Hamas, et à libérer ses derniers otages, se laisse aller à ce qui ressemble, de plus en plus, à la punition collective de tout un peuple.

La famille martyre al Najjar n'avait pas quitté son domicile de Khan Younes car elle n'avait aucun endroit où aller. A Gaza, les deux tiers des infrastructures et des logements ont été détruits. Les familles ont été déplacées plusieurs fois d'une extrémité à l'autre du territoire enclavé. L'hygiè ne n'existe plus, la sécurité est aléatoire, la famine rôde. Quelle génération de Palestiniens va donc grandir dans de telles conditions?

Il est évident qu'Israël est un État démocratique qui a le droit de se défendre. Il est évident aussi que le Hamas a fait le malheur des Palestiniens. C'est le Hamas, qui par ses attentats, a sciemment saboté les accords de paix d'Oslo, qui avaient été signés en septembre 1993 par le gou vernement israélien d'Yitzhak Rabin et l'OLP de Yasser Arafat. Ces accords prévoyaient l'établissement progressif d'un État palestinien sur les territoires de Gaza et de Cisjordanie. Mais, poussé par son fanatisme islamique, le Hamas a rejeté ces accords raisonnables, continuant à réclamer toute la Palestine, «de la mer jusqu'au fleuve». Ces accords ont été également rejetés par la droite israélienne aujourd'hui au pouvoir, laquelle a pactisé avec des partis extrémistes religieux, qui n'imaginent pas qu'un mètre carré de la terre donnée par Dieu aux Juifs puisse être cédé à des Arabes, même si ces derniers y vivaient depuis des siècles avant le début du sionisme. L'extrême droite israélienne a complètement oublié ce que disait l'intellectuel juif Arthur Koestler, lui-mê-me sioniste, à propos de la déclaration Balfour de 1917: Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d'une troisième!

On en est là aujourd'hui deux idéologies fanatiques s'affrontent pour éliminer l'autre, et c'est la population des deux côtés qui en paie le prix.

Il faut comprendre que la tragédie ne se joue pas que chez les Palestiniens. Elle se joue aussi chez les Juifs. Le gouvernement Netanyahou ne semble pas comprendre qu'en déshumanisant les autres, on finit toujours par se déshumaniser soi-même. Le désastre humanitaire prévalant actuel-lement à Gaza n'est pas digne de la belle histoire d'Israël.

Dans ma jeunesse, ma mère nous parlait d'Israël, à mon frère et à moi, comme d'un État modèle, supérieur aux autres par ses vertus. Aujourd'hui, il ne viendrait pas à l'idée d'une mère de famille catholique française de faire l'apologie de l'État hébreu.

Depuis qu'il a repris ses bombardements sur Gaza le 18 mars 2025, qu'a donc gagné l'État juif? Tactiquement, ses gains sont minimes, sinon nuls. Stratégiquement, il a énormément perdu. Pour un pays moderne ouvert sur le monde comme Israël, sa réputation internationale est un facteur essentiel de son succès. Or elle aujourd'hui entachée. Même les Américains commencent à se détacher de l'État hébreu.

L'intérêt à long terme d'Israël est évidemment de garder des relations très étroites avec l'en-semble de l'Occident, dont il partage les valeurs humanistes.

On ne peut assister sans pleurer au suicide politique d'Israël. Combien de jeunes Juifs brillants ont-ils quitté Israël car ils n'acceptent plus cet état de guerre permanent. L'État hébreu connaît aujourd'hui une alya à l'envers de ses meilleurs éléments.

Je ne suis pas naïf. Je sais très bien qu'Israël ne peut se permettre de perdre une seule guerre face à un environnement arabo-musulman qui ne lui fera jamais de cadeau. Je sais que les Palestiniens ont, dans leur histoire, refusé toutes les propositions territoriales qui leur ont été faites (plan Peel de 1939, partage de l'ONU de 1947, propositions des gouvernements israéliens Barak en 2001 et Olmert en 2008). Je suis admiratif de tout le travail agricole comme technologique réalisé par les sionistes en Terre sainte. La réussite économique d'Israël est un modèle qui s'impose dans tout le Moyen-Orient et qu'admirent sans le cacher les pays arabes qui ont rejoint les accords d'Abraham. Il ne tenait qu'au Hamas d'opter en 2006 pour un modèle de développement à la Singapour pour la bande de Gaza pour lequel il aurait obtenu des milliards de la part des pétro-monarchies du Golfe.

Mais l'Israël que j'ai connu avait une âme. Et j'ai très peur qu'il ne la perde, s'il continue à traiter la population de Gaza comme il le fait.

Le Figaro