Renaud Girard: «Une voie étroite s’ouvre pour le Liban»

Renaud Girard: «Une voie étroite s’ouvre pour le Liban»
الثلاثاء 7 يناير, 2025

CHRONIQUE - Le président du Parlement libanais a annoncé la tenue d’une session parlementaire pour élire un président de la République le 9 janvier. Une occasion pour ce pays, qui a trop souffert, d’emprunter la voie étroite qui le ramènera au fonctionnement normal de ses institutions.

Bien qu’affaibli militairement et partiellement décapité, le Hezbollah libanais vit toujours. Son responsable de la coordination et des relations extérieures, Wafic Safa, a donné une conférence de presse improvisée, le 5 janvier 2025, sur les lieux mêmes où le chef du mouvement islamiste chiite, Hassan Nasrallah, avait trouvé la mort, à la fin du mois de septembre 2024, dans un bombardement israélien d’une puissance et d’une précision inouïes, dans la banlieue sud de Beyrouth.

Beau-frère de Nasrallah, responsable des opérations spéciales du Hezbollah, soupçonné par le Trésor américain d’être le superviseur de tous les trafics du parti chiite transitant par les ports libanais ou par l’aéroport de Beyrouth, Wafic Safa fut lui-même visé par une frappe israélienne dédiée le 10 octobre 2024. Mais ce personnage discret et énigmatique y a réchappé.

« Aucun veto à la candidature de Joseph Aoun »
Une fois prononcées les paroles attendues sur la résilience du mouvement et sa détermination inentamée à «résister» à l'«ennemi» israélien, Wafic Safa a dit quelque chose d'intéressant, car nouveau. Dans le processus relancé de l'élection par le Parlement d'un président de la République (après vingt-six mois de vacance du poste...), Wafic Safa a déclaré que son mouvement n'opposerait «aucun veto» à la candidature du commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, qui est un chrétien maronite.

Au Liban, depuis l'indépendance en 1943, le président de la République est toujours un chrétien maronite, le premier ministre toujours un musulman sunnite, et le président du Parlement toujours un musulman chiite. C'est une règle non écrite mais intangible. Maître de l'ordre du jour, le président du Parlement monocaméral libanais est un personnage très puissant car capable de paralyser à lui seul la vie politique du pays.

Nabih Berri, le président du Parlement, l'a convoqué pour le 9 janvier, en vue de l'élection du président de la République. Le Hezbollah a les moyens de faire capoter cette élection, simplement en s'arrangeant pour que le quorum des deux tiers ne soit pas réuni.

Le mouvement chiite n'a visiblement désormais l'intention d'opposer de veto sur aucun nom, à l'exception de celui de Samir Geagea, le chef des Forces libanaises. Cette milice chrétienne fut fondée en 1976, pendant la guerre civile libanaise, par Béchir Gemayel. Ce leader charismatique se révéla petit à petit partisan d'une alliance entre les chrétiens libanais et les Israéliens. À peine élu président de la République libanaise en 1982, il périt, assassiné par le régime baasiste de Damas.

La raison invoquée par Wafic Safa pour refuser toute candidature du chef des Forces libanaises à la magistrature suprême est qu'il incarne « un projet de discorde et de destruction pour le pays». Le Hezbollah reproche notamment au parti des Forces libanaises de vouloir fédéraliser le Liban selon des frontières confessionnelles. Les FL lui rétorquent qu'elles ne sont le cheval de Troie d'aucun pays étranger, à la différence de lui, le Hezbollah, inféodé à l'Iran des ayatollahs.

Actuellement, Israël et le Hezbollah respectent plus ou moins un cessez-le-feu provisoire qui a été négocié par l'intermédiaire de la diplomatie américaine. Safa annonce que le Hezbollah poursuivra sa « résistance» contre les Israéliens, mais dans le calendrier et selon les modalités qui lui apparaitront les plus « appropriés ». Traduction de ce langage de propagande nous allons lever le pied contre Tsahal.

Le Hezbollah vient sans doute de comprendre qu'il avait commis une erreur stratégique à bombarder la Galilée de manière sporadique à partir du 8 octobre 2023, afin de montrer sa solidarité avec les Palestiniens de Gaza, au sein d'un «axe de la résistance » au sionisme qui comprenait alors également le Hamas, les houthistes du Yémen, la Syrie de Bachar al-Assad, les milices chiites irakiennes, la République islamique d'Iran. Le harcèlement des civils israéliens de Galilée a provoqué une réaction, non immédiate mais extrêmement déterminée, du gouvernement Netanyahou, avec trois conséquences importantes. : la décapitation du Hezbollah; la perte de la Syrie, tombée aux mains des Frères musulmans pro-turcs; la démonstration que l'Iran n'était militairement qu'un tigre de papier. Par son impéritie, le Hezbollah a fait perdre à ses parrains perses l'accès à la Méditerranée dont ils avaient toujours rêvé; il a détruit pour longtemps l'axe de la résistance dont il se réclamait à tout bout de champ.

Le résultat est qu'au Liban le Hezbollah est bien moins populaire qu'avant. Pire, il ne fait plus peur. Ses dirigeants ont donc compris qu'il était urgent de mettre la pédale douce à l'égard du voisin du Sud, et d'enfiler un gant de velours sur la scène politique libanaise. Il n'est pas indifférent que Safa ait fait cette déclaration le jour même où le ministre des Affaires étrangères saoudien était en visite à Beyrouth. Traditionnellement, l'Arabie saoudite est le parrain de la communauté sunnite libanaise.

Le Hezbollah est-il prêt à renoncer à ses armes pour se concentrer sur la politique intérieure libanaise et y représenter massivement la communauté chiite (30% de la population)? C'est beaucoup trop tôt pour le dire et cela dépendra grandement de la conclusion ou non d'un « big bargain» stratégico-économique entre l'Administration Trump et Téhéran. Elon Musk a fait une visite discrète à l'ambassadeur iranien aux Nations unies, mais on ne sait absolument pas dans quel but. Nombreux sont en Iran les hiérarques pragmatiques qui appellent de leurs vœux une négociation sur tous les sujets qui fâchent avec l'Amérique, dans l'espoir d'obtenir d'elle une levée progressive des sanctions. Mais personne ne peut prédire s'ils auront gain de cause face à leurs adversaires idéologues, qui veulent à tout prix perpétuer la « révolution » islamique.

En attendant, il est bon que le Liban puisse emprunter la voie étroite qui le ramènera au fonctionnement normal de ses institutions, puis à l'assainissement de ses comptes publics et de son secteur financier, que le monde entier attend pour lui préter de l'argent (11 milliards de dollars avaient déjà été réunis pour lui lors de la conférence Cedre de 2018 à Paris, mais jamais versés, faute des réformes administratives nécessaires).

Le petit Liban a trop souffert d'avoir été une terre d'expérimentation de l'activisme des grandes puissances régionales rivales du Moyen-Orient. Les circonstances semblent lui offrir une voie étroite pour recouvrer sa neutralité. Et personne n'est mieux placé que le général Joseph Aoun qui n'a trempé dans aucune magouille financière, ni dans aucune querelle confessionnelle au cours de sa longue carrière, et qui est autant apprécié à Washington, qu'à Paris et qu'à Riad - pour conduire le peuple libanais dans cette voie étroite.