Pro-nucléaire, pro-business, déterminé à réduire l’immigration et à renforcer la police de proximité, le nouveau Premier ministre britannique tient plus du centriste que du travailliste de gauche
Chloé Goudenhooft, L'Opinion
Les faits - Le travailliste Keir Starmer a été chargé par le roi Charles III de former un nouvel exécutif. Angela Rayner, numéro deux du gouvernement, a été nommée vice-Première ministre en charge du logement. L’ancienne économiste de la Banque d’Angleterre Rachel Reeves devient ministre des Finances, la première femme à occuper ce poste. David Lammy prend le poste de ministre des Affaires étrangères.
La victoire de Keir Starmer aux législatives britanniques fait visiblement plus d’un envieux au sein du Nouveau Front populaire. Olivier Faure, le Premier secrétaire du Parti socialiste, a même félicité le chef des travaillistes, pianotant sur le réseau social X (ex-Twitter) : « God save the Left ! » Mais du fait du système électoral britannique, qui offre un siège au premier parti à obtenir la majorité, la victoire du Labour est à relativiser. Si le parti obtient bien une majorité absolue avec 412 sièges, sa part de vote n’est en fait que de 34 %. En 2019, marquée par une des pires défaites du parti en termes de sièges, cette part était à peine inférieure (32,1 %). En 2017, alors même que Jeremy Corbyn avait perdu, celle-ci était même supérieure (40 %). En d’autres termes, l’électorat britannique a surtout cherché à punir le parti conservateur plutôt qu’à donner un blanc-seing au chef du Labour.
Keir Starmer s’est d’ailleurs aliéné certains des électeurs les plus à gauche du parti, ce qu’illustre la réélection de Jeremy Corbyn dans sa circonscription. L’ancien leader a obtenu 24 120 voix en tant que candidat indépendant contre 16 873 pour le représentant du Labour. Les travaillistes ont également pu perdre des électeurs à la gauche du parti à la faveur des verts. Ce travail de recentrage est toutefois aussi ce qui a convaincu les conservateurs du centre de se tourner vers lui. Ce qui le diférencie nettement d’un Olivier Faure et ses amis du NFP.
De fait, Keir Starmer n’a rien d’un socialiste au sens européen. « C’est plutôt un modéré de centre gauche », précise Karl Pike, maître de conférences en politiques publiques à l’Université Queen Mary. Le politologue estime qu’en ce sens, le chef des travaillistes s’inscrit dans la tradition du socialisme britannique. « Le Labour n’a jamais été friand de débats et d’arguments théoriques abstraits. Il n’a pas non plus été fondé par ceux qui étaient engagés dans une sorte de doctrine principalement marxiste, ce qui est le cas de la plupart des partis européens. Le socialisme britannique a toujours été pratique. »
Ce pragmatisme s’est traduit par la transformation opérée par le chef du Labour pour unir un parti divisé en 2019. La « purge » entraînée par ce resserrage des rangs a coûté cher à la gauche du parti, à l’image du sacriice symbolique de Jeremy Corbyn. La nomination de Rachel Reeves, une économiste qui a travaillé à la Banque d’Angleterre ainsi que dans le secteur privé, a contribué à réorienter le parti vers le centre de la gauche.
Sécurité énergétique.
La stabilité est au cœur de son programme économique, qu’elle appelle « securonomics », via notamment la volonté assumée d’établir une relation partenariale entre les milieux d’afaires et le gouvernement. Comment ? Par la responsabilité fiscale. Le Labour a promis de ne pas augmenter les impôts sur le revenu, la TVA ou l’équivalent des cotisations sociales. Le parti a toutefois indiqué vouloir mettre fin aux avantages fiscaux accordés aux écoles privées ou aux nonrésidents fiscaux vivant au Royaume-Uni, ou encore d’introduire une taxe sur les bénéices du secteur de l’énergie, qui serait plus conséquente que celle mise en avant par les Tories.
Sur le nucléaire aussi – tout le contraire des socialistes français –, Keir Starmer s’ancre dans la tradition de pragmatisme travailliste. Il s’est dit en faveur de la dissuasion ainsi qu’au maintien et au développement de centrales et de petits réacteurs modulaires. « Cette position ne l’empêche pas d’être très ambitieux sur le développement du renouvelable », précise Karl Pike. Mais le maintien du nucléaire est une question de sécurité énergétique pour le nouveau Premier ministre.
L’argument de la sécurité est également au centre des mesures promises sur le front de l’immigration et de la question des traversées illégales de la Manche par des migrants en situation irrégulière. Pas question, ainsi, d’augmenter les accès de demande d’asile. Une fermeté partagée d’ailleurs par le parti des verts britanniques. Keir Starmer propose « un nouveau commandement de la sécurité des frontières », qui consiste à déployer davantage de policiers et d’enquêteurs pour démanteler les réseaux de passeurs.
En revanche, Keir Starmer reste proche des mouvements syndicaux, ce qui est la ligne traditionnelle du Labour. « Il va devoir s’en tenir à ce qu’Angela Rayner, qui sera vice-Première ministre, s’est engagée à faire, à savoir un bouleversement considérable en termes de droits des travailleurs, estime Karl Pike. Une fois au pouvoir, le gouvernement qu’il dirigera va potentiellement accroître le rôle de l’Etat dans l’économie, faire en sorte que celui-ci investisse plus dans les infrastructures de la Grande-Bretagne et augmenter les dépenses publiques. » Le pari de Rachel Reeves est d’y parvenir grâce à une hausse de la croissance… Sur ce point, les travaillistes sont attendus au tournant.
Pour arriver à ses ins le Labour ne sera pas à l’abri de tiraillements en interne entre les gardiens de la tradition socialiste britannique et la tendance plus centriste incarnée par Rachel Reeves. Le succès de Keir Starmer dépendra de la façon d’équilibrer les deux et de l’obtention de résultats tangibles, condition sina qua non pour conserver la confiance des milieux d’affaires qui, comme la majorité des Britanniques, l’ont soutenu.