Sara Daniel, Le Nouvel Obs
Massacres, déplacements massifs, famine… Depuis seize mois, le pays est ravagé par une guerre fratricide opposant l’armée régulière et des forces paramilitaires. Or le conflit, qui pourrait avoir des conséquences au-delà des frontières, se déroule dans un silence international pesant.
Inondations, famine, épidémie de rougeole, pénurie de médicaments… La pire crise humanitaire du monde ne sévit pas au Moyen-Orient ou en Ukraine mais au Soudan. Loin des caméras et des mobilisations estudiantines, l’agonie des enfants soudanais ne suscite ni indignation ni compassion générale. Et pourtant. Khartoum, la capitale, a été rasée par la guerre. Près de 150 000 personnes ont été massacrées et les charniers sont visibles sur les images satellites. Plus de 10 millions, soit un cinquième de la population, ont fui leur foyer. La famine pourrait être plus meurtrière que celle qu’a connue l’Ethiopie dans les années 1980.
« Sans une action immédiate, globale, massive et coordonnée, nous risquons d’être témoins de la mort, évitable, de dizaines de milliers de personnes dans les mois à venir. Nous sommes à un point de rupture – un point de rupture catastrophique, cataclysmique », a déclaré en août Othman Belbeisi, directeur régional de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) de l’ONU pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.
Depuis avril 2023, le pays est ravagé par une guerre fratricide opposant l’armée régulière menée par Abdel Fattah Abdelrahman al-Bourhane aux Forces de Soutien rapide (RSF) de son ex-adjoint, le général Mohamed Hamdan Daglo. Et après s’être accommodée de généraux putschistes perçus comme une force de stabilité, la communauté internationale se désintéresse du Soudan.
Il pourrait bien se rappeler à son bon souvenir. Car la crainte d’une division du territoire entre deux gouvernements possédant chacun son armée, comme en Libye voisine, est là. D’autant que chaque camp, comme en Libye, est soutenu par d’autres pays : les Emirats arabes unis fournissent munitions et drones aux RSF, l’Iran et l’Egypte arment l’armée soudanaise. La Russie a déployé des mercenaires pour sécuriser les mines d’or. L’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar se disputent pour établir leur influence. C’est le constat de l’hebdomadaire britannique «The Economist», qui a consacré sa une à ce pays martyr, oublié des cohortes de la compassion en réseau: «Soudan, pourquoi sa guerre catastrophique est le problème du monde ».
La position géographique du Soudan et sa taille (plus de trois fois la superficie de la France) ne manqueront pas d’alimenter le chaos au-delà de ses frontières. Outre qu’elle provoquerait un afflux de réfugiés (60 % de ceux de Calais viennent déjà du Soudan), l’implosion du pays, qui a 800 kilomètres de côtes sur la mer Rouge, menacerait le canal de Suez, une artère clé du commerce mondial. « Le carnage va s’aggraver, annonce “The Economist”, notre analyse des images satellites montre un pays en feu, les fermes et les récoltes ont été brûlées. Les gens mangent de l’herbe et des feuilles. De 6 à 10 millions de personnes pourraient mourir de famine en 2027… Le Soudan a des frontières poreuses avec sept pays fragiles… Il pourrait devenir un havre pour les terroristes et les forces armées soudanaises pourraient aider l’Iran et la Russie à obtenir une base en mer Rouge en échange de leur soutien…» Malgré ce tableau apocalyptique, il y a pourtant peu de chances que la situation préoccupe à temps l’opinion publique internationale et ses diplomates. Le monde s’est habitué au chaos. Ses habitants ne semblent plus se mobiliser que pour les conflits qui les menacent à court terme et directement (Ukraine) ou qu’ils peuvent appréhender à travers les grilles de compréhension périmées d’un monde disparu (Israël).