Stéphane Simon : « Israël prépare la dernière manche qui vise la fin du régime de Téhéran »

Stéphane Simon : « Israël prépare la dernière manche qui vise la fin du régime de Téhéran »
السبت 24 مايو, 2025


Par Alexandre Devecchio, pour Le Figaro Magazine

ENTRETIEN - Avec Pierre Rehov, Stéphane Simon publie 7 Octobre. La Riposte. Un livre enquête qui raconte la guerre menée par l’État hébreu contre le régime iranien. « Une guerre secrète, impitoyable, qui est au cœur de la nécessité de survie d’Israël », assure le journaliste.

Dans leur livre enquête, 7 Octobre. La riposte, Stéphane Simon et son coauteur, Pierre Rehov, racontent la guerre secrète menée par Israël contre l’Iran depuis le lendemain de l’acte d’extermination commis par le Hamas. Celle-ci pourrait changer en profondeur le Moyen-Orient, et même le monde entier.

LE FIGARO MAGAZINE. - La guerre menée par Israël contre le Hamas à Gaza tend à éluder la guerre contre l’Iran. La seconde n’est-elle pas finalement plus décisive que la première ? En quoi celle-ci peut-elle redessiner la carte de la région, voire changer le monde ?

Stéphane SIMON. - Dans notre livre, nous évoquons une guerre secrète, impitoyable, qui est au cœur de la nécessité de survie d’Israël. En dehors des opérations spectaculaires, assez peu d’informations circulent sur le conflit qui oppose l’État hébreu au régime totalitaire des mollahs. Dès les lendemains du 7 Octobre, Israël a pris la décision d’une nouvelle stratégie, beaucoup plus marquante pour la région : en finir avec « la Pieuvre », puisque c’est ainsi qu’est désigné le régime des mollahs. Cela consiste à en finir avec chacune de ses tentacules (le Hamas, le Hezbollah, les Houthis au Yémen, le régime de Bachar el-Assad …) mais aussi avec la tête ! Cette tête qui fournit les proxys en matériel militaire, qui arrose d’argent (on sait aujourd’hui que le Hamas a perçu une aide de 500 millions de dollars de l’Iran avant le 7 Octobre…) et qui donne les ordres. L’Iran se trouve aujourd’hui très affaibli et a perdu de sa puissance dans la région. Il y a eu la chute de Bachar el-Assad qui lui-même ne devait sa survie qu’à l’aide du Hezbollah, qui lui-même n’est que le bras armé iranien au Liban. Le Hezbollah a perdu son « rond de serviette » en Syrie. Les Houthis du Yémen directement reliés à Téhéran ont vu leur port de commerce et l’aéroport de Sanaa détruits. Le Hamas qui ne veut toujours pas rendre les otages israéliens sortira atomisé de ce conflit avec Israël. Le Moyen-Orient a d’ores et déjà changé en profondeur et ce n’est pas fini. Aujourd’hui, Israël prépare la dernière manche qui vise la fin du régime de Téhéran.

Deux opérations spectaculaires menées par Israël resteront dans l’Histoire : celle de l’élimination d’Haniyeh au sein même d’un bâtiment des Gardiens de la révolution iranienne et celle des bipeurs. Comment cela a-t-il été possible ?

Après la tragédie du 7 Octobre, une réorganisation immédiate a eu lieu : le Mossad, le Shin Bet, l’Aman et l’Unité 8200 ont été recentrés autour d’un organe unifié de renseignement, le Nili. Nous décrivons ensuite avec des détails inédits les opérations du Mossad qui ont pour point commun de s’enraciner dans le temps long. Fin juillet 2024, l’opération d’élimination d’Ismaël Haniyeh qui meurt dans sa chambre piégée d’une bombe au cœur d’une résidence sécurisée du palais présidentiel iranien est une humiliation pour le régime des mollahs et la démonstration de l’infiltration du Mossad au cœur du régime iranien. C’est ce même réseau qui avait permis à Israël de récupérer des tonnes d’archives du programme nucléaire iranien, révélant des intentions génocidaires de l’aya tollah Khamenei et des durs du régime.

Et puis il y a eu, à peine deux mois plus tard, l’opération dite des bipeurs. C’est un copier-coller de l’opération pour piéger les talkies-walkies achetés par le Hezbollah avec un système de détonateur à distance, qui avait été préparée bien avant le 7 octobre 2023, comme une sorte d’assurance-vie, pour le cas où l’organisation chiite renouvellerait ses agressions contre Israël – ce qui a été le cas dès le lendemain du pogrom. Une jeune agente du Mossad, inspirée par ce plan audacieux, a eu l’idée de l’étendre aux bipeurs. Il a fallu alors convaincre le Hezbollah que seuls ces moyens de communication obsolètes étaient sûrs. Le Mossad a utilisé des sociétés-écrans et des intermédiaires civils pour leur vendre des bipeurs fabriqués en israël, piégés avec 3 grammes d’explosif et revendus par une société hongroise. Ces deux actions combinées ont permis d’éliminer ou d’handicaper plusieurs milliers de cadres du Hezbollah. Elles ont été suivies par l’élimination à Beyrouth de son chef, Nasrallah, puis de son successeur, et d’autres successeurs, mettant fin à la prédominance de cette organisation terroriste au Liban, et protégeant ainsi la frontière nord d’israël, dont toute la population, visée par les roquettes, avait dû être évacuée depuis des mois.

Ces opérations spectaculaires traduisent bien la singularité des services d’espionnage et de contre-espionnage israéliens. ils travaillent étroitement avec le pouvoir politique, ce qui les rend très efficaces, et se sentent investis d’une mission messianique : assurer coûte que coûte la survie d’israël. ils sont aussi formés très jeunes (le concours d’entrée dans l’Unité 8200, équivalent israélien de la NSA, se fait dès l’âge de 14 ans) avec des principes redoutablement efficaces : « Vous n’êtes pas là pour penser raisonnablement mais pour penser l’impossible car seul l’impossible surprend l’ennemi. »

La chute du régime des mollahs est-elle crédible ? Serait-ce un événement comparable à la chute du mur de Berlin ?

La guerre aux proxys, ajoutée aux destructions subies par l’iran sur son sol, ainsi que celles subies en syrie où les équipements militaires ont été anéantis au moment de la chute de bachar el-Assad par Tsahal, tout cela a réduit de façon spectaculaire la capacité iranienne de réponse et son espace aérien est désormais une passoire. renverser le régime des mollahs n’est donc plus une option fantaisiste. plusieurs hypothèses sont sur la table. selon un récent sondage, plus de 80 % des iraniens aspirent à un changement de régime. il suffirait donc de peu pour qu’une révolte populaire éclate. Mais une attaque israélienne directe avec ou sans l’appui des Américains est également possible. En tout état de cause, la destruction du programme nucléaire iranien et de ses principales raffineries servira de rampe de lancement au renversement du pouvoir à téhéran.

Le problème auquel israël fait face, tout autant que le président trump, c’est l’absence de leadership au sein des organisations de résistance iraniennes, nombreuses mais dispersées. La fin de quarante-cinq ans de dictature islamique serait sans doute une bonne nouvelle pour la paix dans la région. trop d’observateurs minorent l’influence toxique de téhéran au Moyen-Orient. Dans le cas d’espèce du conflit israélo-palestinien, l’iran se sert cyniquement de la cause palestinienne pour fédérer chiites et sunnites et mobiliser l’oumma. pour autant, en dehors des déclarations officielles destinées à la rue arabe, les mollahs se moquent comme d’une guigne du sort des palestiniens. il suffit pour s’en convaincre de rappeler le massacre du camp palestinien de Yarmouk par leur allié Bachar el-Assad et ses soutiens du Hezbollah pour mesurer ce cynisme.

La victoire de Trump peut-elle rebattre les cartes ?

Ce n’est pas un hasard si benyamin Netanyahou a été le premier chef d’État reçu à la Maison-blanche en février dernier. L’arrivée de la nouvelle Administration américaine a clairement changé la donne. sept nouveaux milliards de dollars d’équipements militaires vont permettre à israël de renflouer son armée, notamment avec la livraison récente des fameuses bombes « bunker buster » – ces mégabombes que seuls les Américains possèdent et qui permettent de percer le béton comme du beurre. Elles seraient évidemment utilisées dans une attaque contre les infrastructures iraniennes. Jusqu’à présent, l’Administration Biden était hostile à la livraison de celles-ci à l’État hébreu.

Pour autant, depuis février dernier, le président américain prend son temps. La décision d’intervention en Iran revient à Donald Trump qui, fidèle à sa doctrine de « la paix par la puissance », mise d’abord sur la négociation. il a fixé des exigences élevées mais laissé une marge de manœuvre à Téhéran. Une chose est certaine dans son esprit : l’Iran n’aura jamais accès à l’arme nucléaire. Si Trump juge le moment opportun, un rejet iranien pourrait lui servir de prétexte pour lancer une offensive. Un tel renversement pourrait marquer un tournant historique, comparable, en effet, à la chute du mur de Berlin.

Si Israël l’emporte sur le plan militaire, l’État hébreu a perdu la guerre des images. La victoire peut-elle être complète sans un effort diplomatique de la part d’Israël ?

En vérité, israël n’a jamais cessé de tenter la voie diplomatique, y compris avec le Hamas. Toutes les négociations autour des otages ont été systématiquement sabotées par l’organisation terroriste, nous le racontons dans notre livre. Cette question des otages a même créé des tensions entre le chef du Mossad David Barnea et le premier ministre israélien.

Pour autant, israël ne veut plus tolérer la présence d’une entité terroriste hostile prospérant à ses frontières, soutenue par les « diplomates » de l’ONU ou certains gouvernements occidentaux et a clairement renoncé à la solution à deux États dont il faut reconnaître qu’elle n’a jamais été voulue non plus par les responsables palestiniens car elle obligeait à reconnaître israël… Depuis Golda Meir et son fameux « je préfère vos condamnations à vos condoléances », la mentalité des dirigeants israéliens n’a pas tellement changé. seule la restauration de la suprématie militaire israélienne les obsède : mieux vaut la victoire militaire sur le terrain, quitte à perdre la bataille de l’image, que l’inverse…

7 Octobre. La Riposte, de Stéphane Simon et Pierre Rehov, Fayard, 400 p.