Syrie : à Lattaquié, les pro-Assad prennent les armes contre le nouveau pouvoir

Syrie : à Lattaquié, les pro-Assad prennent les armes contre le nouveau pouvoir
السبت 8 مارس, 2025

DÉCRYPTAGE - Cent jours après leur conquête du pouvoir à Damas, les nouvelles autorités affrontent leur pire défi sécuritaire.

Par Georges Malbrunot. LE FIGARO.

« On a eu très peur, on entendait des tirs, mais on ne savait pas ce qu’il se passait, on ne pouvait pas sortir », confie Hamed, un habitant du quartier de Daatour à Lattaquié, joint vendredi au téléphone par Le Figaro. Depuis jeudi après-midi, la grande ville de la côte méditerranéenne, bastion de la minorité alaouite dont est issu le dictateur déchu Bachar el-Assad, connaît une situation quasi insurrectionnelle, de même que Tartous, où le couvre-feu a également été instauré jusqu’à samedi matin.

Cent jours après leur conquête du pouvoir à Damas, les nouvelles autorités affrontent leur pire défi sécuritaire. Malgré l’arrivée de dizaines de milliers de renforts venus notamment d’Idlib et d’Alep pour ratisser villes et villages du «pays alaouite», elles n’ont pas réussi à reprendre complètement le contrôle de la situation. En vingt-quatre heures, le bilan des violences est lourd : au moins 72 morts, dont 36 membres des forces de sécurité et 32 combattants pro-Assad auxquels il faut ajouter l’exécution de 52 alaouites dans les localités de d’al-Shir et d’al-Mukhtariya, près de Lattaquié, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

L’origine exacte de la flambée de violences est confuse. Moustapha Kneifati, responsable de la sécurité à Lattaquié, accuse «plusieurs groupes de miliciens pro-Assad d’avoir attaqué dans une opération bien planifiée et préméditée nos positions et nos points de contrôle, ciblant un grand nombre de nos patrouilles dans la région de Jablé», une ville à une dizaine de kilomètres de Lattaquié, théâtre de batailles urbaines, comme le raconte Hussain, un de ses habitants, joint lui aussi au téléphone: «Les affrontements se sont déroulés autour de l’école des officiers de marine que les deux camps se disputent, ça a tiré toute la nuit, avec ma famille, nous sommes restés dans le couloir, on avait peur des balles perdues.»

Embuscades meurtrières
Pour Hamed, l’origine de cette flambée de violences se situe plutôt dans les incidents qui éclatèrent dans son quartier pauvre de Daatour à Lattaquié lorsque des criminels tirèrent contre des agents de la sécurité, avant que l’armée n’intervienne et tue plusieurs civils. Mais, «ces criminels ont une organisation derrière eux, probablement des anciens loyalistes de Maher el-Assad», le frère du dictateur, qui dirigeait la IVe division. Or c’est précisément, un ancien de cette IVe division qui a commencé de structurer une insurrection du pays alaouite : le général Ghiyat Dala, fondateur d’un Conseil militaire de libération de la Syrie. Avec d’autres, il se terre dans le maquis au-dessus de Lattaquié, vaste zone traversée par des vallées où ils cachent des armes et où ses hommes se replient après avoir tendu des embuscades meurtrières sur les axes routiers entre Tartous et Homs notamment. Mais, signe de leur audace, d’autres n’hésitent pas à se montrer sur les réseaux sociaux, comme à Qardaha, le village natal des Assad, que se disputaient vendredi les deux camps.

Depuis des semaines, en fait, le feu couve sous la cendre. «La population alaouite est soumise à des exactions par les plus radicaux au sein du nouveau pouvoir, analyse un diplomate. Ils occupent des maisons, et en plus, beaucoup de militaires alaouites ont été mis au chômage à la chute d’el-Assad, ils ne reçoivent plus leurs salaires. Dans ce contexte, c’est très facile d’instrumentaliser la colère des gens.» D’autre part, selon ce diplomate, «les alaouites voient les autres composantes ethniques, confessionnelles et religieuses de la Syrie s’organiser, ils se disent pourquoi pas nous»?

Jeudi après-midi, alors que les renforts approchaient, de nombreux habitants, redoutant des exactions, sont allés se réfugier près de la base russe voisine de Hmeimim. Quelques instants auparavant, les forces gouvernementales avaient attaqué à l'hélicoptère des rebelles retranchés dans les montagnes. «Les Russes ont montré leurs dents, en repoussant un hélicoptère qui s’était approché du périmètre de sécurité de leur base, explique un diplomate. Mais comme ils ne veulent pas envenimer la reprise de leurs relations avec la nouvelle direction syrienne dans l’espoir de garder leurs bases militaires, ils n’ont pas permis aux alaouites de s’y abriter.»

Pour Hamedet Hussain, il y a urgence à calmer le jeu, même si leur communauté se sent écartée de la transition politique en cours à Damas. Le président par intérim «Ahmed al-Charaa est un leader qui essaie de bien travailler, mais n’offrons pas aux radicaux autour de lui les raisons qu’ils cherchent pour le défier en nous attaquant, recommande Hamed. Ce doit être la priorité des alaouites : ne prendre position pour aucun camp, mais pour une paix juste entre Syriens».

Pratiquement aucun alaouite n’est prêt à se battre pour le retour du clan el-Assad, détesté. Et sans aide logistique et financière extérieure, l’embryon de révolte lancée par des gros bras de l’ancien régime risqué de leur apporter encore plus de malheurs.