Par Georges Malbrunot, LE FIGARO
Une coalition de combattants djihadistes a conquis la deuxième ville du pays en quatre jours.
Encore sous le choc, les habitants d’Alep redécouvrent la vie sous l’autorité des rebelles qui l’ont reprise vendredi aux forces loyalistes de Bachar el-Assad. « Nous étions tous terrorisés samedi, confie Wissam, joint au téléphone ce dimanche. Aux premières heures, beaucoup ont fui la ville, et d’autres se sont cachés chez eux. Puis, on a commencé à sortir, on a vu des insurgés tenir des barrages et nous demander nos papiers d’identité, mais ils ne sont pas agressifs », se félicite-t-il.
La minorité chrétienne a été surprise de l’apparente bienveillance des nouveaux maîtres de la deuxième ville de Syrie. «Quand les islamistes avaient conquis Idleb il y a une dizaine d’années, ils s’en étaient pris aux chrétiens, mais pour l’instant ce n’est pas le cas à Alep», explique un autre habitant de la grande ville du nord-ouest du pays, contacté via WhatsApp. «Dans la rue, les barbus nous disent qu’ils n’ont rien contre nous, qu’ils sont là pour changer le système, maisest-cequecen’estpasunsubterfuge pour cacher leur vrai visage?», s’interroge-t-il. Les insurgés ont des listes de noms de personnes recherchées. Si le gouverneur d’Alep et la plupart des officiels ont eu le temps de fuir avant leur arrivée, d’autres, comme le responsable des renseignements militaires, auraient été égorgés.
Signe de l’extrême fragilité du pouvoir de Bachar el-Assad, après treize ans de guerre civile qu’il n’a réussi à gagner que grâce à l’appui de ses alliés iraniens, russes et du Hezbollah libanais, Alep est tombée, après des années de calme, comme un château de cartes, en à peine quarante-huit heures, au cours d’une offensive éclair, lancée mercredi à la surprise générale par les rebelles islamistes, épaulés par leurs alliés à partir de la province voisine d’Idleb, frontalière de la Turquie. En soixante-douze heures, alors que plus de 370 personnes- en majorité des hommes en armes- sont mortes, leurs gains territoriaux sont importants. À tel point qu’en face, la débâcle des forces loyalistes inquiète jusqu’à Damas, fief du pouvoir des Assad à 300 km au sud. «Dans quarante-huit heures, ils seront là, on a été vendus», redoutait samedi soir tard un habitant de la capitale.
Conduits par l’ancien groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham, les insurgés contrôlent désormais Alep, à l’exception des quartiers kurdes, défendus par leurs propres hommes. Après avoir conquis les derniers villages de la province d’Idleb qui n’étaient pas sous leur emprise,ils ont également réussi à couper l’autoroute Alep-Raqqa, prenant la ville de Khanasser. En revanche, ils ne sont pas parvenus à faire tomber Hama, leur prochaine cible, à 140 km au sud d’Alep, sur l’autoroute vers Damas. Dans la nuit de samedi à dimanche, le régime syrien a renforcé son déploiement autour de cet ex-fief des Frères musulmans que Hafez el-Assad, le père de Bachar, écrasa dans le sang en 1982. L’armée, qui aurait repris certaines localités à ses ennemis, a réorganisé ses positions militaires à Hama, établissant de nouveaux points de contrôle à la périphérie et envoyant des renforts vers desvilles stratégiques.
Régime fragilisé
La chute de Hama ouvrirait aux rebelles la route vers Homs à 50 km seulement plus au sud, et surtout celle d’al-Qusayr, non loin de la frontière libanaise, un bastion du Hezbollah, avant que les miliciens chiites ne quittent la Syrie pour aller combattre Israël chez eux au Liban.
Cette offensive surprise rebat les cartes d’un conflit que l’on croyait gelé. Si les interrogations sont nombreuses, quelques certitudes en émergent. D’abord, le retour au Liban des milliers d’hommes du Hezbollah a considérablement fragilisé le régime syrien. «Depuis 2015, c’est sur eux que pesait l’effort de guerre, avec quelques unités de la 4e division de Maher, le frère de Bachar el-Assad», constate un diplomate des Nations unies qui suit de près le dossier syrien. D’autre part, tous les observateurs reconnaissent que l’attaque des rebelles ne peut pas avoir été lancée sans l’aval de leurs parrainsprotecteurs turcs, dont certains sont déployés dans la province d’Idleb. Insatisfaite de ses négociations avec Damas en vue d’une normalisation, la Turquie a lâché la bride sur les rebelles d’Idleb, tout en leur faisant passer plusieurs messages.
Appui russe
«Les Turcs veulent polir l’image des ex-djihadistes, c’est pourquoi ceux-ci se tiennent à carreau jusqu’à maintenant avec les chrétiens», décrypte le diplomate onusien qui ajoute : «Leur chef, Mohammed al-Joulani, est inscrit sur la liste des terroristes de l’ONU, il doit donc être fréquentable, les Turcs essaient de le propulser sur le devant de la scène comme le leader de l’opposition. Assad répétait toujours qu’il n’avait personne avec qui négocier. À travers cette fulgurante offensive, on l’a trouvé», décrypte cet observateur qui ne croit pas à un renversement du régime par ses opposants, même si l’appui apporté jusqu’à maintenant par son allié russe a été limité à des frappes aériennes sur Idleb. L’une d'elles aurait éliminé Joulani, annonçait dimanche soir certains sites, une rumeur qui n’a pas été vérifiée de sources indépendantes.
«Quand je demande aux Russes pourquoi ils ne nous ont pas plus soutenus aux premières heures de l’attaque, confie au Figaro un loyaliste proche du pouvoir à Damas, ils me répondent qu’ils ont besoin d’hommes au sol pour soutenir leurs bombardements des rebelles, sachant que beaucoup de leurs militaires ont déjà été envoyés en Ukraine pour leur guerre.» Le régime syrien dispose-t-il encore assez de combattants? «Depuis le début de la guerre en 2011, notre armée est épuisée, avoue ce loyaliste, en plus beaucoup de jeunes ont fui pour ne pas être enrôlés.»
À travers cet appui russe, jusqu’à présent, a minima, «Vladimir Poutine cherche à forcer Assad à normaliser ses relations avec Erdogan pour que les 3 millions de réfugiés syriens en Turquie rentrent chez eux», estime le diplomate onusien. Selon lui, «les Russes ont des forces sur le terrain, mais ils ne veulent pas entrer en guerre avec la Turquie et ses relais».
Signe de l’ambivalence de la position russe, il y a dix jours environ, Moscou a interdit à un cargo iranien transportant des armes pour le Hezbollah d’atterrir sur son aéroport près de Lattaquié, le forçant à rebrousser chemin. Est-ce un hasard? Dans le même temps, l’armée israélienne multipliait les frappes contre les dépôts d’armes des forces syriennes et du Hezbollah, avant son cessez-le-feu au Liban. Il n’y a probablement pas eu coordination entre Israéliens et Turcs, mais une vraie convergence d’intérêts, qui a facilité le travail des rebelles contre Assad et les groupes pro-iraniens. C’est en effet une autre leçon de cette offensive éclair : alors que Téhéran affirme qu’il va continuer de soutenir Assad, les relais iraniens en Syrie donnent l’impression d’avoir disparu. C’était un but de guerre de l’État hébreu, atteint aux premiers jours decette attaque aux ramifications multiples.