Syrie : révélations sur les chabiha, tueurs à la solde du régime Assad

Syrie : révélations sur les chabiha, tueurs à la solde du régime Assad
السبت 8 يوليو, 2023

(Photos) Des miliciens du régime syrien contrôlent le trafic dans le quartier de Hadara, à Homs (Syrie), pendant la guerre civile, le 11 janvier 2012. STEVEN WASSENAAR / STEVEN WASSENAAR / HANS LUCAS VI

 

Des documents officiels, publiés par une ONG engagée dans la lutte contre l’impunité, apportent la preuve, manquante jusqu’ici, que ces hommes de main, auteurs d’innombrables crimes, ont été déployés à l’initiative des autorités de Damas.

Par Hélène Sallon – Le Monde

Des documents officiels démontrent le lien entre les autorités de Damas et ces miliciens Beyrouth - correspondante Dès le début de la contestation contre le régime Assad, en mars 2011, des gangs à la solde du pouvoir sont apparus pour briser ce mouvement. Baptisés « chabiha », ces hommes de main avaient déjà aidé le clan Assad à asseoir son pouvoir durant les années 1970. Au fur et à mesure que la Syrie s’est enfoncée dans la guerre civile, toutes sortes de partisans du régime ont rejoint cette armée de l’ombre, épaulant les forces de sécurité dans leurs basses besognes.

Leur participation à des crimes contre l’humanité, notamment des meurtres et des actes de torture, et à des crimes de guerre, tels que des arrestations et des détentions arbitraires, des violences sexuelles et des pillages, a été établie dès 2012 par une commission d’enquête des Nations unies. Les enquêteurs onusiens estimaient que les chabiha avaient vraisemblablement agi « avec l’assentiment, de concert avec ou à la demande des forces gouvernementales ». Leur lien avec la hiérarchie sécuritaire n’avait pas pu être établi à l’époque, offrant à M. Assad une justification commode pour rejeter toute responsabilité dans leurs agissements.

Mais dans un rapport publié le 5 juillet, la Commission for International Justice and Accountability (CIJA), une ONG d’avocats pénalistes internationaux, apporte ce chaînon manquant. Son travail, basé sur des documents officiels, révèle comment les plus hauts échelons du régime syrien ont planifié et mis en œuvre le déploiement de ces miliciens.

Les enquêteurs de la CIJA ont eu accès à plus d’un million de documents de l’appareil d’Etat syrien récupérés au sein de bâtiments gouvernementaux ou militaires, dans les territoires tombés aux mains des rebelles. Une infime partie de ces documents figure dans le rapport, qui se concentre sur le début du soulèvement syrien. Ils ne contiennent pas d’ordres écrits directs intimant de commettre des atrocités, mais ils détaillent la structuration progressive par le pouvoir syrien de ces forces paramilitaires.

 Chabiha-2016

« Ces documents, écrits de la plume même du régime, sont la preuve qu’il s’est appuyé sur ces groupes dès le premier jour pour réprimer les manifestations et écraser les rebelles, commente Nerma Jelacic, directrice à la CIJA. Ces miliciens ne sont pas des brebis égarées devenues hors de contrôle. Ils mettaient en œuvre les objectifs du régime. » Des pages recueillise par la CIJA ont déjà été utilisées dans des procès ouverts contre des responsables du régime syrien, au nom du principe de compétence universelle, en Allemagne, en France, en Suède et aux Pays-Bas.

« Ces documents inédits confirment que le régime a externalisé la violence illégitime à ces milices. Elles ont été créées de sorte que le lien avec les agences de sécurité ne puisse être établi. Le régime s’est ainsi doté d’une base loyale et complice de ses crimes », abonde le chercheur néerlandais Ugur Ungör, spécialiste des questions de génocide et de violences de masse. Avec ses officines disséminées dans tout le pays, le parti Baas du dirigeant Bachar Al-Assad a été parmi les premières structures sollicitées pour étouffer la contestation. Dès janvier 2011, après des manifestations à Alep (nord du pays), des instructions du bureau de la sécurité nationale, l’organe supervisant les agences de sécurité de l’Etat, ont été envoyées aux différentes branches de ces services, leur enjoignant d’utiliser les ressources du parti pour empêcher de nouvelles manifestations.

Opérations conjointes

Lorsque la contestation a véritablement démarré, en mars 2011, la mobilisation a été élargie aux syndicats et à tous les « amis » du régime. Ce réseau a été structuré, au niveau local, au sein de comités populaires placés sous la tutelle des services de sécurité, relève le rapport du CIJA. Au sommet de l’Etat a été créé le Comité central de gestion de crise (CCGC), un comité ad hoc placé sous la direction de Bachar Al-Assad et rassemblant toutes les agences de sécurité et de renseignement. L’une de ses premières directives, datée du 18 avril 2011, ordonne aux comités populaires de se former au maniement des armes et à l’arrestation des opposants présumés.

 « Bien avant que le soulèvement ne tourne au conflit armé, le régime a opté pour la mobilisation et la militarisation de ces groupes », souligne Nerma Jelacic. La coopération s’est renforcée avec la mise sur pied d’opérations conjointes. Les paramilitaires se sont vu confier des missions de contrôle du territoire. La conduite criminelle de ces groupes a suscité des dissensions au sein de l’appareil de sécurité. Mais des documents du CCGC montrent qu’il a été ordonné de les laisser faire, alors que les défections se multipliaient dans l’armée et que l’Armée syrienne libre, créée par des officiers rebelles, gagnait du terrain.

Ces comités populaires ont été ensuite intégrés dans une force paragouvernementale, appelée Force de défense nationale, dont les unités ont été déployées sur le front en 2013. « En 2017-2018, les chabiha étaient devenus très puissants, contrôlant des villes entières comme Homs. Même la police et l’armée les redoutaient. Sous la pression de la Russie [intervenue militairement en Syrie, en 2015, au côté du régime], ils ont été intégrés au sein du cinquième corps de l’armée syrienne, ou sont retournés à la vie civile », précise le chercheur Ugur Ungör. Grâce aux richesses qu’ils ont amassés pendant la guerre, certains chabiha se sont reconvertis en politique, dans le commerce ou même dans des organisations caritatives.