Par Georges Malbrunot
DÉCRYPTAGE - Si la logique du conflit entre les deux puissances rivales du Moyen-Orient échappe aux esprits cartésiens, elle semble avoir été guidée ces dernières heures par une volonté commune d’éviter l’escalade.
Israël se tait, après avoir attaqué l’Iran dans une opération du talion a minima. L’Iran encaisse le coup et dédouane son ennemi juré en accusant des «infiltrés» sur son territoire d’avoir lancé des drones contre leur propre pays.
Si la logique du conflit entre les deux grandes puissances rivales du Moyen-Orient échappe aux esprits cartésiens, elle semble avoir été guidée ces dernières heures par une volonté commune d’éviter l’escalade, chacun de son côté ayant sauvé la face au terme d’une semaine où la région a tutoyé l’abîme.
Pour restaurer sa dissuasion, Israël a riposté à l’attaque iranienne inédite aux drones et aux missiles de la semaine dernière en frappant une base militaire près d’Ispahan, dans le centre du pays. Au moyen de drones tirés de l’intérieur du territoire iranien ou de missiles, lancés au contraire depuis Israël ? L’incertitude demeure. Mais, comme l’attaque iranienne en Israël, la riposte de l’État hébreu paraît avoir été minutieusement calibrée, sans faire de dégâts, selon les médias iraniens, pour ne pas provoquer une escalade régionale. Israël, qui avait prévenu les États-Unis - comme l’Iran l’avait fait la semaine dernière - n’a pas visé des installations nucléaires iraniennes, lesquelles sont pourtant au centre des inquiétudes de l’État hébreu et des pays occidentaux.
L’information a d’abord filtré sur la chaîne de télévision américaine ABC qui, la première à 3 h 42 du matin heure de Paris – 6 h 12 à Téhéran – a annoncé une attaque « aux missiles » en Iran, sur la foi d’un témoignage d’un responsable américain. Dix minutes plus tard, l’agence de presse iranienne Fars faisait état « d’explosions » entendues près de l’aéroport d’Ispahan, à l’origine « inconnue ». Téhéran annonçait dans l’heure la suspension des vols intérieurs en direction et à partir d’Ispahan et l’activation de son sys tème de défense aérienne dans la province éponyme et dans plusieurs autres.
Méthodiquement, à la manière presque du déroulé médiatique de ce qui s’était passé une semaine plus tôt en Israël, la République islamique alimenta la chronique de l’attaque au cours des heures qui suivirent, mais sans préciser qu’elle venait de « l’entité sioniste », surnom donné à Israël en Iran. On précisa d’abord que des drones avaient été abattus « avec succès », mais que l’Iran n’avait pas subi « d’attaque par missile, jusqu’à maintenant ». Une heure dix après la première annonce d’ABC, Press TV, une chaîne iranienne anglophone, affirmait que « la situation était normale » à Ispahan, où trois explosions en fait avaient été entendues, et surtout on ajoutait que les installations nucléaires étaient « totalement en sécurité ». Ce que confirmait une heure plus tard l’Agence internationale de l’énergie atomique. Contacté par Le Figaro à 8 h 30, heure française, un habitant d’Ispahan répondait alors que « le calme » régnait dans sa ville qui était « tranquille ».
Alors qu’à l’aube Israël continuait de se taire et qu’en Iran, le président de la République Ebrahim Raissi, en déplacement en province, ne changeait pas ses plans, à Téhéran, dans la capitale, le porte-parole de l’agence iranienne de l’espace Hossein Dalirian révélait que « plusieurs microvéhicules aériens ont été abattus avec succès (…), il n’y a jusqu’à présent aucune documentation d’une attaque de missiles ». Là est l’une des principales interrogations de cette nouvelle montée des tensions entre les deux ennemis, avec des conséquences différentes, s’il s’agit de drones actionnés localement ou de missiles tirés depuis Israël. À l’appui de cette seconde hypothèse, certaines sources affirment qu’au cours de cette même nuit dernière, l’aviation israélienne aurait détruit des batteries de radars en Syrie et en Irak, pour faciliter le vol de leurs avions de combat vers l’Iran. D’autres rappellent au contraire que l’État hébreu, pour ne pas s’aliéner les pays arabes dont il a besoin contre l’Iran, avait prévenu ces derniers que sa riposte en Iran « ne mettrait pas en danger leur sécurité ».
Ce qui est, a priori, plus surprenant, c’est la reprise à son compte par le régime iranien de tirs de quadricoptères depuis son territoire. Mais ce n’est pas une première: en janvier déjà, Téhéran avait accusé Israël d’être « responsable » d’une attaque aux drones contre un site militaire, dans cette même province d’Ispahan. « L’Iran a choisi de mettre les détails de cette attaque sous le tapis », tranche un expert dans le Golfe, qui décrypte la dialec tique iranienne. « En disant qu’il n’y a pas eu d’attaque venue de l’étranger, Téhéran n’a pas besoin de riposter contre un pays étranger, cela permet au pouvoir de justifier sa non-riposte à cette attaque israélienne. »
Au-delà des incertitudes opérationnelles, une chose paraît sûre : Téhéran ne veut pas d’une escalade. C’est le message transmis par son allié russe à Israël, avait déclaré la veille Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de Moscou, à l’issue de contacts engagés par la Russie avec les Israéliens et les Iraniens.
Téhéran semble se satisfaire de la nouvelle règle du jeu que son attaque inédite la semaine dernière en Israël a instaurée, aux termes de laquelle désormais, chaque attaque israélienne contre ses intérêts propres en Iran entraînerait une riposte directe de la République islamique en Israël, et non plus via ses relais au Moyen-Orient – Hezbollah au Liban et rebelles yémé nites houthistes, en particulier.
Résumant un sentiment largement partagé dans les pays arabes voisins des deux rivaux, le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, a déclaré que les « représailles israéliennes et iraniennes devaient maintenant cesser ». Comme l’Arabie saoudite notamment, le royaume hachémite serait soulagé de voir la tension baisser entre Tel-Aviv et Téhéran, afin de ne pas être victime des dégâts collatéraux, au moment où la guerre à Gaza entre Tsahal et le Hamas alimente toujours les rancœurs au Moyen-Orient.
« Israël dans son avertissement a montré qu’il pouvait atteindre l’Iran quand il voulait, mais sans vouloir élargir la guerre à Gaza », souligne Hassan al-Hassan, chercheur aux États-Unis. Quant à son ennemi théoriquement juré iranien, Isna, une de ses agences de presse semi-officielle, assure « qu’il y a une remarquable fabrication pour exagérer l’ampleur de l’incident » de la nuit de jeudi à vendredi, le jour du 85e anniversaire du guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei. Un autre symbole de cette drôle de guerre irano-israélienne.