En se rendant en Arabie saoudite et au Qatar, le ministre des affaires étrangères iranien envoie aussi un message à Washington
Ghazal Golshiri (à paris) et Hélène Salon (à Beyrouth) correspondante, Le Monde
Alors qu’Israël prépare sa riposte contre l’Iran, le chef de la diplomatie iranienne, Abbas Araghtchi, a effectué, mercredi 9 et jeudi 10 octobre, une visite en Arabie saoudite et au Qatar, destinée à prévenir une escalade régionale. A Riyad, M. Araghtchi a été reçu par le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, dit « MBS », avant de s’entretenir, à Doha, avec le premier ministre et ministre des affaires étrangères du Qatar, Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani.
« Il est de la responsabilité de tous les Etats de maximiser leurs efforts pour protéger notre région contre une catastrophe, en mettant fin au génocide à Gaza et à l’agression contre le Liban », a déclaré le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Esmaeil Baghaei, sur son compte X, après cette rencontre. Israël a promis une riposte sévère à l’attaque menée par l’Iran sur son territoire, le 1er octobre, avec près de 180 missiles – dont certains ont touché ou frôlé des sites stratégiques israéliens – en représailles à la mort de ses alliés, les chefs du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, et du Hamas palestinien, Ismaïl Haniyeh.
Les Etats arabes du Golfe pourraient se retrouver pris entre deux feux en cas d’escalade entre les Etats-Unis et Israël d’une part, l’Iran et l’« axe de la résistance » d’autre part. A Riyad, M. Araghtchi aurait transmis aux puissances du Golfe une mise en garde de Téhéran contre l’utilisation de leur espace aérien ou de bases militaires américaines dans la région contre l’Iran, selon l’agence Reuters, citant un haut responsable iranien.
Un « geste fort »
Les bases américaines situées dans la péninsule Arabique – au Qatar, aux Emirats, en Arabie saoudite, à Bahreïn et au Koweït – pourraient devenir des cibles pour l’Iran ou pour l’« axe », en cas d’extension du conflit. La République islamique aurait prévenu que toute action de ce type entraînerait une riposte contre ces pays.
Le site d’information américain Axios, citant des responsables israéliens, a rapporté, le 2 octobre, que l’Etat hébreu pourrait envisager de cibler les installations de production pétrolière en Iran en guise de représailles. Les pays arabes de la région craignent que la République islamique ne riposte en attaquant leurs propres infrastructures pétrolières. Au Yémen, les houthistes pourraient reprendre leurs attaques contre l’Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis, comme par le passé.
La rencontre entre M. Araghtchi et le souverain saoudien a été vue comme un « geste fort » de la part de « MBS ». Elle témoigne que « la diplomatie saoudienne est confiante dans le fait que l’Iran ne s’en prendra pas aux intérêts saoudiens en représailles, sinon les discussions n’auraient pas été élevées à ce niveau », estime l’expert saoudien Aziz Alghashian.
« Tant que les Saoudiens peuvent maintenir l’Iran engagé dans la diplomatie et le dialogue, ils se sentent à l’abri de cette perspective. Ils veulent que Téhéran voie que Riyad peut être un canal utile pour eux », abonde Cinzia Bianco, spécialiste des pays du golfe Persique au sein du cercle de réflexion European Council on Foreign Relations.
Selon la chaîne France 24, le prince héritier saoudien aurait en effet transmis au chef de la diplomatie iranienne un message de la part des Américains. Par ce message, Washington aurait fait savoir à l’Iran qu’il n’avait pas encore connaissance des plans de représailles israéliens, mais que les Etats-Unis ne participeraient en aucun cas à des frappes contre le programme nucléaire iranien.
De son côté, le Qatar, qui a déjà joué un rôle-clé lors du premier cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, en novembre 2023, tente également de tirer parti de ses liens étroits avec les Américains et les Iraniens – y compris avec ceux qui, en coulisse, prennent les décisions stratégiques. « L’objectif est de comprendre quelles sont les lignes rouges des Iraniens, puis de transmettre ce message aux États-Unis, car ces derniers cherchent à limiter autant que possible la réponse israélienne à cette attaque », explique Andreas Krieg, chercheur au King’s College, à Londres. A ce stade, selon Cinzia Bianco, voir des initiatives ou des propositions conjointes se dessiner entre l’Iran et les puissances arabes du Golfe concernant la guerre dans la bande de Gaza et au Liban paraît en revanche « ambitieux ».