Par Adrien Jaulmes, correspondant à Washington, LE FIGARO
DÉCRYPTAGE - Avec la volonté de faire passer les intérêts de l’Amérique avant tout, le futur président américain se voit déjà confronté à une crise globale, où les adversaires des États-Unis forment désormais une alliance à l’échelle planétaire.
Trump est de nouveau en charge de la politique étrangère américaine. Avant même d’avoir pris officiellement ses fonctions, le futur président est déjà devenu le principal interlocuteur des dirigeants étrangers, qui appellent plutôt Mar-a-Lago que la Maison-Blanche. Son retour aux affaires est en partie dû aux déboires de son prédécesseur, Joe Biden. En plus des thèmes de politique intérieure, inflation et immigration, Trump a fait campagne en critiquant férocement la politique étrangère de l’Administration démocrate. Traitant Biden d’incompétent et ses conseillers de « clowns » que personne ne respecte, il les a accusés d’entraîner par leur faiblesse les États-Unis dans une troisième guerre mondiale.
À la place, Trump a promis «la paix par la force». Cette devise, sans doute inventée par des historiens pour l'empereur romain Hadrien, avait déjà servi de slogan à Ronald Reagan après les fiascos internationaux de Jimmy Carter. Comme celle de rendre sa grandeur à l'Amérique, Trump l'a récupérée à son compte. Après l'avoir utilisée dans son dernier discours de président devant les Nations unies en septembre 2020, il s'en sert de programme de politique étrangère.
Au lieu des tergiversations stratégiques de Biden, Trump veut voir son pays de nouveau respecté, tout en promettant d'apporter la paix.
S'il manie l'outrance et la provocation dans ses discours, Trump se présente comme un pacificateur sur la scène internationale. Il se targue d'être le seul président américain depuis Jimmy Carter à ne pas avoir entraîné les États-Unis dans un nouveau conflit. Ce thème, avec la nécessité de juguler l'immigration clandestine, est l'un de ceux qui ont porté depuis le début sa carrière politique.
Il avait lancé sa campagne en 2015 en attaquant l'establishment républicain, et notamment George W. Bush pour la désastreuse invasion de l'Irak. Il critique depuis les diplomates et les militaires américains pour avoir plongé le pays dans ce qu'il appelle des «guerres sans fin».
Son premier mandat, celui d'un président totalement novice en la matière, n'a non seulement pas été la catastrophe annoncée, mais a comporté des succès notables. En achevant la campagne lancée par Barack Obama contre l'État islamique, il a remporté l'une des rares victoires américaines de l'histoire récente, couronnant même cette campagne par l'élimination du calife el-Baghdadi.
Il avait été aussi celui qui avait frappé le régime syrien de Bachar el-Assad, en riposte à l'emploi des armes chimiques, ce qu'avait renoncé à faire Obama. Il a aussi porté un coup à l'expansionnisme iranien en tuant Qassem Soleimani, le grand architecte des opérations extérieures de l'Iran au Moyen-Orient. Sous ses ordres, les forces spéciales américaines avaient infligé des lourdes pertes aux mercenaires russes de Wagner qui s'avançaient dans l'est de la Syrie. Les accords d'Abraham, négociés par son gendre Jared Kushner entre Israël et plusieurs pays arabes, représentent une avancée historique rare au Moyen-Orient.
Certaines de ses intuitions géopolitiques majeures, comme celle d'avoir compris la duplicité stratégique et économique chinoise, ont entièrement réaligné la politique étrangère américaine, et ont été reprises par Biden. Cette dernière est l'une des rares positions à réunir aujourd'hui démocrates et républicains à Washington.
Cette gestion personnelle, instinctive et intuitive des relations internationales est présentée par ses partisans comme l'une de ses grandes forces. Trump n'a jamais aspiré à promulguer une doctrine Trump pour plaire à l'establishment de Washington en matière de politique étrangère, expliquait son ancien conseiller à la Sécurité nationale, Robert O'Brien, dans une tribune parue l'été dernier dans la revue Foreign Affairs. Il n'adhère pas à un dogme, mais à son propre instinct et aux principes américains traditionnels, qui sont plus profonds que les orthodoxies mondialistes des dernières décennies.
Les attaques de Trump contre les alliés des États-Unis sont aussi minimisées comme un simple moyen de leur rappeler leurs obligations, comme il le fait avec les membres de l'Otan incités sans ménagement à augmenter leurs budgets de défense. L'Amérique d'abord n'est pas l'Amérique seule, avait aussi déclaré O'Brien, expliquant que Trump reconnait qu'une politique étrangère réussie nécessite d'unir ses forces avec des gouvernements et des personnes amis. Le fait que Trump ait jeté un nouveau regard ne fait pas de lui un pur transactionnel ou un isolationniste hostile aux alliances, comme le prétendent ses détracteurs. L'Otan et la coopération des Etats-Unis avec le Japon, Israël et les États arabes du Golfe ont tous été renforcés sur le plan militaire.
Mais les succès de Trump en politique étrangère doivent aussi en partie à la chance, qui l'accompagne tout au long de sa carrière. L'absence de nouvelle guerre au Moyen-Orient ou d'invasion russe de l'Ukraine pendant son premier mandat n'est pas entièrement due à la force de sa personnalité. La réticence de son Administration lui a aussi permis d'éviter certains déboires, comme le retrait calamiteux d'Afghanistan, qu'il avait négocié et préparé, et dont l'exécution par Biden a précipité le retour au pouvoir des talibans et une humiliante défaite américaine.
En retrouvant la présidence quatre ans après la fin de son premier mandat, Trump se voit offrir le rare privilège de pouvoir recommencer en ayant appris de son expérience. Avant même son investiture, il a déjà commencé à agir pour parvenir à une solution négociée en Ukraine. Son envoyé spécial chargé de ce dossier, l'ancien général Keith Kellogg, a déjà entamé des pourparlers discrets. Et Trump lui-même a déjà rencontré le président ukrainien, la semaine dernière, à Paris, au cours d'une réunion impromptue organisée par Emmanuel Macron en marge des cérémonies de réouverture de la cathédrale Notre-Dame. Il devrait y avoir un cessez-le-feu immédiat et des négociations devraient commencer, a écrit Trump sur son réseau Truth Social. Trop de vies sont gaspillées inutilement, trop de familles sont détruites, et si cela continue, cela peut se transformer en quelque chose de bien plus grand, et de bien pire. Kellogg a annoncé qu'une solution pourrait être trouvée au cours des prochains mois, et cherche à présenter à Poutine l'alternative entre une paix négociée et une aide américaine à l'Ukraine accrue en cas de refus.
Trump se retrouvera à partir du 20 janvier prochain avec d'autres dossiers qu'il aurait sans doute préféré éviter, et en particulier celui du Moyen-Orient, où la chute de la dynastie el-Assad en Syrie vient de bouleverser l'équilibre régional. L'une des conséquences est l'affaiblissement de l'Iran, pays envers lequel Trump prône une politique de sanctions renforcée. Avec la défaite du Hezbollah libanais et celle du Hamas palestinien, la chute du régime syrien achève de disloquer le système d'alliances déployé par la révolution ira- nienne depuis des décennies.
Trump a déjà annoncé qu'il n'entendait pas se mêler des affaires syriennes, Mais vouloir rester à l'écart d'un réalignement régional majeur n'est pas forcément la meilleure politique, et surtout n'est pas forcément une option pour les États-Unis.
Trump hérite aussi en Syrie, comme lors de son premier mandat, de la présence des forces spéciales américaines déployées avec les forces kurdes syriennes. S'il les retire, comme il avait tenté de le faire en 2018 et en 2019 à la demande du président turc Erdogan, il se prive d'un levier important dans tout règlement politique en Syrie, tout en risquant de voir s'évanouir dans la nature des milliers de djihadistes et combattants de l'État islamique actuelle ment prisonniers des forces kurdes.
D'autres choix épineux risquent de se présenter rapidement au nouveau président. La défaite subie par l'Iran au Liban puis en Syrie peut conduire Téhéran à accélérer son programme nucléaire, ultime garantie de survie pour un régime aux abois. En Israël, Benyamin Netanyahou pourrait être tenté de profiter de l'affaiblissement de Téhéran et de ses alliés pour frapper directement les installations nucléaires iraniennes. Ces sites, notamment à Natanz, Fordo et Ispahan, sont profondément enterrés, et les Israéliens auraient besoin des capacités de l'US Air Force, et notamment des bombardiers lourds, pour mener ces raids.
Les États-Unis ont préféré jusqu'à présent contenir le programme nucléaire iranien par la diplomatie et par les sanctions. Mais d'après des sources citées par les médias américains, Trump, qui s'est entretenu à plusieurs reprises ces dernières semaines avec rec Netanyahou, se serait dit concerné par le risque de voir Téhéran produire des ogives nucléaires.
Trump a toujours manifesté la plus grande défiance envers la République islamique. Les tentatives de l'Iran pour l'assassiner pendant la campagne n'ont pas amélioré sa perception de ce régime. Tout peut arriver, a-t-il prévenu dans un entretien au magazine Time à la question de savoir si une guerre pouvait éclater avec l'Iran. C'est une situation dangereuse. Les Iraniens semblent étre conscients du danger, et leurs représentants ont discrètement pris langue avec Elon Musk le mois dernier, vraisemblablement pour établir un dialogue direct et discret avec le nouveau président.
Mais Trump revient surtout aux affaires dans un monde bien différent en 2025 de ce qu'il était en 2017. La guerre en Ukraine a, plus que n'importe quel autre conflit, contribué à transformer les relations entre grandes puissances. Elle a contribué à rassembler et à solidifier une alliance mondiale entre la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord, telle qu'elle n'existait pas à l'époque. Les actions de ces puissances sont désormais coordonnées, et destinées à saper l'influence des États-Unis. La Corée du Nord envoie ses soldats se battre en Ukraine; la Russie aide les Iraniens à attaquer le commerce maritime en mer Rouge par l'intermédiaire des houthis yéménites, en ayant soin de ne pas s'en prendre aux navires chinois. La coopération militaire est aussi poussée. Les drones iraniens servent à Moscou contre l'Ukraine, en échange de la technologie russe en matière de missiles. La Chine aide économiquement l'effort de guerre russe en permettant à Moscou de contourner les sanctions. A travers le continent eurasiatique s'est rassemblé un bloc de puissances continentales et révisionnistes, par où transite aide militaire, comme les munitions et les soldats nord-coréens qui alimentent l'armée russe en Ukraine, matières premières et savoir-faire technologique, comme le savoir-faire russe apporté à la Chine en matière de construction de sous-marins nucléaires.
Ce rival, dont Trump avait été le premier à dénoncer l'emprise, est celui qui représente le principal adversaire de son Administration. Dans le Pacifique, la Chine continue sa course aux armements, nucléaires et navals. Elle resserre son étau sur Taïwan et multiplie les pressions contre les Philippines pour étendre son contrôle sur la mer de Chine. Ces menaces coordonnées, inexistantes en 2017, représentent un défi majeur pour Trump. Elles ne peuvent guère étre écartées par des déclarations tonitruantes ou du simple chantage économique permettant un nouveau deal. Face à ces bouleversements stratégiques, la diplomatie personnelle qu'affectionne Trump atteint vite ses limites. L'invitation lancée par Trump au président chinois, Xi Jinping, d'assister à son investiture à Washington a été déclinée par Pékin. C'est finalement la vision mercantiliste et transactionnelle de l'ordre international par Trump, pour lequel la Pax americana se fait au détriment des États-Unis et au profit d'alliés ingrats, qui risque d'être mise à l'épreuve. Sa conception westphalienne des rapports de force entre grandes puissances apparait déjà quatre ans après son premier mandat comme en décalage par rapport aux menaces actuelles.
Comme pour ses prédécesseurs, sa politique étrangère risque surtout d'être façonnée par les événements. George W. Bush avait fait campagne sur la fin des aventures extérieures américaines de l'ère Clinton, avant de lancer les États-Unis dans des opérations extérieures à travers le Moyen-Orient. Barack Obama avait promis de quitter le Moyen-Orient pour se recentrer sur l'Asie, avant que les révolutions arabes ne le contraignent à y revenir. Donald Trump l'isolationniste pourrait être contraint par les événements de redevenir le chef de file d'une coalition occidentale rassemblée par une menace commune.