EXCLU WSJ. La Maison Blanche poursuit ses efforts diplomatiques au Moyen-Orient, alors que les pourparlers sur le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas n’aboutissent pas depuis des mois
Stephen Kalin et Michael R. Gordon, The Wall Street Journal / L'Opinion
L'administration Biden est sur le point de finaliser un traité entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Dans ce cadre, Washington s'engagerait à défendre le pays du Golfe sur le long terme, en contrepartie du développement de relations diplomatiques entre Riyad et Israël, indiquent des responsables américains et saoudiens.
Le succès de cette initiative diplomatique dépend toutefois de l'engagement israélien d'accepter la création d'un Etat palestinien indépendant et, à plus brève échéance, de mettre final à guerre à Gaza. Après des mois de négociations infructueuses sur un cessez-le-feu et un raid israélien mené le week-end dernier pour récupérer des otages détenus en plein cœur de ce territoire, voir la seconde condition être remplie apparaît peu probable.
Les Etats-Unis veulent offrir aux dirigeants israéliens la possibilité de réaliser un vieil objectif: normaliser leurs relations avec l'Arabie saoudite afin d'être mieux acceptés dans le monde arabo-musulman. En contrepartie, Tel-Aviv devrait soutenir un projet crédible de solution à deux Etats. Une hypothèse à laquelle s'opposent le gouvernement israélien actuel et la majeure partie de l'opinion publique du pays.
Cette initiative diplomatique en vue d'un pacte de défense avec Riyad représente une volte-face spectaculaire pour le président américain. Lorsqu'il était candidat, M. Biden s'était, en effet, engagé à traiter l'Arabie saoudite en paria et à lui faire payer le prix de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, résident américain. Le démocrate est désormais sur le point de s'engager officiellement à protéger la riche monarchie pétrolière. Cette dernière poursuit une ambitieuse politique de développement économique et social tout en réprimant les opposants. Ce serait la première fois que les Etats-Unis concluraient un pacte de défense mutuelle ayant force de loi depuis la révision du traité américano-japonais en 1960 et la première fois qu'ils signeraient un tel accord avec un pays autoritaire, souligne Aaron David Miller, ancien négociateur de paix américain qui travaille au jourd'hui au Carnegie Endowment for International Peace, un think tank basé à Washington.
Une alliance de défense renforcerait la position de l'Arabie saoudite au Moyen-Orient et assoirait le poids militaire des Etats- Unis dans cette région secouée par l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre Israël et par la guerre qui s'est ensuivie à Gaza. Elle renforcerait également les capacités de défense de l'Arabie saoudite, tout en risquant d'accroître les tensions avec Téhéran, qui se dispute la suprématie régionale avec Riyad et qui a renforcé ses liens avec Moscou. Le mois dernier, le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a déclaré que la sécurité à long terme d'Israël dépendait de son intégration régionale et de la normalisation de ses relations avec les Etats arabes, notamment Arabie saoudite.
Nous ne devrions pas manquer une occasion historique de concrétiser la vision d'un Israël sûr, flanqué de partenaires régionaux forts, présentant un front puissant pour dissuader toute agression et maintenir la stabilité régionale, a précisé M. Sullivan à la presse. C'est cette ambition que nous poursuivons chaque jour.
Ce type de traité, connu sous le nom d'accord d'alliance stratégique, doit être approuvé par le Sénat à la majorité des deux tiers selon la Constitution américaine. Il est néanmoins peu probable qu'il obtienne le soutien d'un nombre suffisant de parlementaires s'il n'est pas assorti d'un engagement de l'Arabie saoudite à normaliser ses relations avec Israël.
Avant une telle conclusion, les Saoudiens souhaiteraient que la guerre à Gaza prenne fin et que des mesures irréversibles et irrévocables soient prises dans les prochaines années à venir en vue de la création d'un Etat palestinien. L'opposition d'Israël à une solution à deux Etats pourrait rendre cet obstacle difficile à franchir,
Selon les responsables américains et saoudiens, le projet de traité s'inspire largement du pacte de sécurité mutuelle conclu entre Washington et Tokyo. En échange de l'engagement des Etats-Unis à défendre l'Arabie saoudite en cas d'attaque, Washington aurait accès au territoire et à l'espace aérien saoudiens pour protéger ses intérêts et ses partenaires régionaux. L'accord a également pour but, en rapprochant Riyad de Washington, d'empêcher la Chine de construire des bases dans le royaume ou de poursuivre une coopération sécuritaire avec l'Arabie saoudite, précisent les responsables.
Un tel accord ferait de l'Arabie saoudite le seul Etat arabe à disposer d'un traité de défense formel avec les Etats-Unis. Bien qu'Israël ne soit pas lié aux Etats Unis par un tel pacte, la politique américaine s'attache depuis des décennies à garantir à Tel-Aviv le maintien d'un avantage militaire qualitatif dans la région objectif qui a été inscrit dans la loi en 2008. L'engagement sécuritaire des Etats-Unis à l'égard d'Israël s'est matérialisé en avril, lorsque le pays a pris la tête d'une opération multinationale afin de protéger l'Etat hébreu d'une attaque massive de drones et de missiles menée par l'Iran.
Dans la région au sens plus large, la Turquie, membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), bénéficie d'un engagement mutuel renforcé en matière de défense. Sept autres pays arabes, non-membres de l'Otan, sont des alliés majeurs. Un statut qui confère certains avantages aux Etats-Unis en matière de défense et de sécurité, mais qui reste largement symbolique et non contraignant.
Selon Jonathan Panikoff, ancien haut responsable des services de renseignement américains et membre du think tank Atlantic Council, un tel accord avec une alliance militaire entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite et une normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv - représenterait une victoire géostratégique pour Washington et serait susceptible de bouleverser l'équilibre des alliances historiques au Moyen-Orient.
En liant plus étroitement l'Arabie saoudite et les Etats-Unis en matière de sécurité, de technologie, d'économie et de commerce, (cet accord) nuirait également aux tentatives de la Chine de faire avancer ses projets dans la région et de trouver d'autres alliés prêts à se rallier à Pékin pour s'éloigner de l'ordre mondial libéral régi par les Américains», explique M. Panikoff.
L'accord élargi - mais pas le traité stricto sensu devrait inclure le soutien des Etats-Unis au développement d'un programme nucléaire civil saoudien et comporter un volet dédié à l'enrichissement de l'uranium - un autre dossier extrêmement sensible qui devra être finalisé.
Les initiatives de l'adminis tration Biden visant à encourager la normalisation des relations entre Israël et l'Arabie saoudite ont été lancées bien avant l'attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre. Cette dernière, selon le président et certains spécialistes du Moyen-Orient, visait à perturber ce processus.
Les pourparlers ont été interrompus pendant un certain temps après le déclenchement de la guerre de Gaza, mais ils ont fini par reprendre. Si les négociations aboutissaient dans les mois à venir, M. Biden remporterait une victoire majeure en matière de politique étrangère à l'approche de l'élection présidentielle, alors que son soutien à l'Etat hébreu lors du conflit israélo-palestinien lui a coûté l'appui de sa base démocrate.
La rédaction du traité était presque finalisée le mois dernier lorsque M. Sullivan et d'autres hauts responsables américains ont rencontré le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane un consensus a été trouvé sur la plupart des dispositions, précisent les responsables. Parallèlement, un autre accord de coopération en matière de défense, qui, lui, peut être promulgué par décret, est en cours d'élaboration afin de stimuler les ventes d'armes, le partage de renseignements et la réflexion stratégique sur les menaces.communes, notamment le terrorisme et l'Iran.
Bien qu'un cessez-le-feu ne soit pas une condition sine qua non à la normalisation, les responsables américains et saoudiens affirment que, dans les faits, tout accord plus large ne peut être conclusans.
Le secrétaire d'Etat Antony Blinken a indiqué samedi que les Etats-Unis continuaient à faire pression en faveur d'un accord de cessez-le-feu au lendemain de l'opération israélienne de sauve mtage des otages et que le Hamas était désormais le principal obstacle à la conclusion d'un accord visant à suspendre les combats.
Le Hamas est le seul obstacle à l'obtention de ce cessez-le-feu, a affirmé M. Blinken. Il est temps qu'il accepte l'accord.
La milice estime que tout accord de paix à Gaza devrait inclure un cessez-le-feu permanent, ce à quoi M. Netanyahus'est publique ment opposé.
Le partenariat américano-saoudien est axé depuis des décennies sur le pétrole et la sécurité, notamment la lutte contre Al-Qaïda et l'Etat islamique. En 1990, les Etats-Unis avaient déployé un demi-million de soldats dans le royaume pour repousser l'invasion du Koweït par le dictateur irakien Saddam Hussein et pour défendre les champs pétroliferes saoudiens. Les relations ont toutefois failli se rompre à plusieurs reprises, notamment après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 - au cours desquels 15 des 19 pirates de l'air étaient d'origine saoudienne, et après le meurtre de M. Khashoggi en 2018 par des agents de Riyad.
Une alliance formelle mettrait fin aux éternels désaccords à Washington et aux doutes de Riyad sur la détermination des Etats-Unis à assurer la sécurité du pays. Cela renforcerait le royaume face à son rival iranien et apaiserait les craintes des Américains de le voir pivoter vers la Chine ou la Russie. Cela pourrait également ouvrir la voie à une éventuelle coalition is-raélo-saoudienne contre Téhéran et consolider la présence américaine au Moyen-Orient, même si les administrations successives se concentrent davantage sur l'Asie.
Au cours des derniers mois, le Pentagone s'est de plus en plus impliqué dans le processus de négociation du traité, alors que les pourparlers avec Riyad approchaient de leur terme. Des hauts fonctionnaires américains ont également informé leurs homologues israéliens des tractations avec les Saoudiens.
La création éventuelle d'un Etat palestinien indépendant dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est nécessiterait des réformes controversées de l'Autorité palestinienne et des concessions importantes de la part de M. Netanyahu, qui s'est fermement opposé à cette idée, arguant qu'elle portait atteinte à la sécurité d'Israël.
Le Premier ministre israélien a toujours modéré sa position sous la pression de Washington. Mais pour tenir cette ligne aujourd'hui, il devrait remodeler sa coalition gouvernementale actuelle, qui comprend des par- tis d'extrême droite. Une majorité croissante de la population israélienne est par ailleurs vent debout contre la création d'un Etat palestinien depuis l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas: 74% des juifs israéliens s'y opposent même dans le cadre du processus de normalisation avec l'Arabie saoudite, selon un récent sondage d'opinion.