trente ans après, les accords de paix d’Oslo sont morts mais personne ne veut les enterrer

trente ans après, les accords de paix d’Oslo sont morts mais personne ne veut les enterrer
الجمعة 15 سبتمبر, 2023

Benjamin Barthe - Le Monde

Malgré l’annexion de fait d’une bonne partie de la Cisjordanie par Israël et une situation d’apartheid dénoncée par les principales organisations de défense des droits humains, aussi bien palestiniennes qu’israéliennes, les dirigeants des deux camps, de même que les capitales occidentales, se gardent bien de briser la fiction des deux Etats née de ce traité.


Il est des clichés historiques, des instantanés qui ont fait le tour du monde, mais dont le pouvoir d’émotion s’est fané, et qu’on ne regarde plus qu’avec un demi-sourire désabusé. Le 13 septembre 1993, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat se serraient la main sur la pelouse de la Maison Blanche à Washington. Sous le regard du président américain Bill Clinton, le premier ministre israélien et le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) scellaient les accords de paix d’Oslo.

Trente ans plus tard, l’anniversaire de cet événement phare, applaudi dans les capitales occidentales, ne suscite que gêne et silence. Le gouffre entre l’espoir soulevé à l’époque et la réalité qui prévaut aujourd’hui étant béant, personne, dans les chancelleries, n’a évidemment le cœur à célébrer la cérémonie du Rose Garden. Mais personne, et c’est plus problématique, n’a non plus le courage d’acter la fin des accords d’Oslo et du principe qui le sous-tendait, celui de deux Etats pour deux peuples.

Le diagnostic saute aux yeux de quiconque fait l’effort d’arpenter le terrain. L’explosion du nombre de colons juifs qui se sont installés en Cisjordanie, passé de 280 000, en 1993, à 700 000 aujourd’hui, couplée à la construction de la barrière de séparation à l’intérieur de ce même territoire, l’a transformé en un labyrinthe de 165 micro-enclaves, parfaitement ingouvernables. Plus de 90 % de la terre entre la mer Méditerranée et le Jourdain est sous le contrôle direct de l’Etat d’Israël.

Annexion rampante depuis 1967
Dans le reste, ce que l’on appelle dans le jargon d’Oslo la « zone A » de la Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne (AP) est censée disposer du pouvoir civil et sécuritaire, l’armée israélienne continue d’intervenir à sa guise. Si ce processus d’atomisation et d’assujettissement du territoire palestinien est porté à son paroxysme par la coalition d’extrême droite actuellement au pouvoir en Israël, la vérité oblige à reconnaître que cette entreprise d’annexion rampante a commencé dès 1967 et qu’elle a été nourrie aussi bien par des pouvoirs de droite que de gauche.

Dans un article publié en avril par la prestigieuse revue Foreign Affairs, quatre vétérans des sciences politiques américaines enjoignaient à la communauté internationale de prendre acte de ce qu’ils appelaient « Israel’s one state reality », la réalité de l’Etat unique en Israël. « La Palestine n’est pas un Etat en attente et Israël n’est pas un Etat démocratique occupant par accident le territoire palestinien, écrivaient-ils. L’ensemble du territoire situé à l’ouest du Jourdain constitue depuis longtemps un seul Etat, (… ) où les Palestiniens sont traités en permanence comme une caste inférieure. Les décideurs politiques qui ignorent cette réalité (…) sont condamnés à l’échec et à l’insignifiance. Ils n’apporteront à peine plus qu’un écran de fumée facilitant l’enracinement du statu quo. » Et pourtant, dans les capitales occidentales, le déni se poursuit. Les diplomates continuent de réciter les formules héritées d’Oslo, même si ces éléments de langage forment aujourd’hui un catéchisme complètement hors-sol. Plus que jamais, Oslo est le cadavre dans le placard, le macchabée que personne ne veut enterrer.

Il est vrai que les deux principaux intéressés, Ies dirigeants israéliens et leurs homologues palestiniens, se gardent bien de briser la fiction des deux Etats. Jusqu’à ce jour, Benyamin Nétanyahou, le premier ministre de l’Etat hébreu, résiste aux pressions de ses alliés suprémacistes juifs, qui l’exhortent à formaliser l’annexion de fait de la « zone C » de la Cisjordanie, qui recouvre 60 % de ce territoire et englobe toutes les colonies.

Un traité bancal
Une telle annonce risquerait de torpiller les efforts déployés par l’administration Biden pour conclure un accord de normalisation saoudo-israélien. D’autres effets boomerangs pourraient suivre, comme un effondrement de l’AP, qui a l’avantage inestimable de délester Israël du coût financier de son occupation. Du côté de Ramallah, siège de l’AP, faute d’avoir élaboré une autre stratégie de libération nationale, on répugne aussi à planter le dernier clou du cercueil d’Oslo. Mahmoud Abbas, le chef de l’AP, n’a pas plus de pouvoir qu’un préfet de « zone A », mais on continue de lui donner du raïs (« président »). Le roi est nu, mais il ne faut pas le dire.

Ces précautions langagières font l’affaire des diplomates occidentaux, dispensés de réfléchir au monde d’après Oslo. Elles entretiennent la confortable rhétorique du « minuit moins cinq », consistant à dire que tant que les territoires palestiniens n’ont pas été officiellement annexés, les accusations d’apartheid, formulées par les principales organisations de défense des droits humains, aussi bien palestiniennes qu’israéliennes et internationales, ne sont pas recevables.

S’accrocher au lexique d’Oslo, c’est aussi s’abstenir de creuser les responsabilités de la communauté internationale dans le fiasco du processus de paix. Si Israéliens et Palestiniens ont eu évidemment le premier rôle dans cette triste histoire – colonisation, d’un côté, et attentats, de l’autre – celui des Américains et des Européens est loin d’être négligeable. Les accords d’Oslo étant un traité profondément bancal (les Palestiniens reconnaissaient un Etat, tandis qu’Israël reconnaissait une simple organisation, l’OLP), il incombait aux parrains du processus de paix de corriger cette asymétrie. Mais ils n’ont rien fait dans ce sens. Les Etats-Unis se sont comportés comme l’« avocat d’Israël », ainsi que l’a reconnu l’ancien responsable du département d’Etat Aaron David Miller, et l’Union européenne n’a jamais osé sortir de l’ombre de Washington. Trente ans après Oslo, à défaut de célébration, un petit exercice d’introspection serait le bienvenu.