Par Adrien Jaulmes, correspondant à Washington, LE FIGARO
DÉCRYPTAGE - À quelques semaines de la fin de son mandat, Joe Biden a ordonné une série de bombardements contre les restes de l’État islamique en Syrie, et revendiqué son rôle dans la chute d’el-Assad. Mais Donald Trump a pris position pour que les États-Unis restent à l’écart du conflit.
Joe Biden a cessé d’appeler au cessez-le-feu au Proche-Orient pour ordonner des frappes en Syrie. Dimanche, alors que la rébellion syrienne entrait dans Damas, l’US Air Force a mené une série de raids aériens contre les positions de l’État islamique dans le centre du pays. L’opération a été menée par des bombardiers stratégiques B-52, mais aussi des F-15 et des appareils d’attaque au sol A-10. En tout plus de 140 munitions, bombes guidées et missiles ont été tirés contre plus de 75 cibles appartenant à l’organisation djihadiste, toujours active en Syrie même si elle reste considérablement affaiblie depuis la campagne internationale lancée contre elle entre 2015 et 2019. Les bombardements visaient des «dirigeants, agents et camps de l’EI», selon le communiqué Central Command. Ils étaient destinés à «perturber, dégrader et vaincre le groupe terroriste, l’empêcher de mener des opérations et veiller à ce qu’il ne cherche pas à profiter de la situation actuelle pour se reconstituer dans le centre de la Syrie», a déclaré le général Michael Erik Kurilla, commandant du Centcom.
« Nous sommes conscients du fait que Daech essaiera de profiter de la situation pour rétablir ses capacités, et pour se reconstituer un bastion : nous ne laisserons pas cela se produire »,a déclaré Biden dimanche, dans une rare conférence de presse. Le président américain, qui n’apparaît plus que rarement en public, a salué la chute d’el-Assad comme «une occasion historique pour le peuple syrien, qui souffre depuis longtemps, de construire un avenir meilleur pour son pays». Mais aussi comme «un moment de risque et d’incertitude». «Il ne faut pas se leurrer, certains des groupes rebelles qui ont renversé Assad ont eux aussi un lourd passif en matière de terrorisme et de droits de l’homme», a dit Biden. «Nous avons pris note des déclarations des dirigeants de ces groupes ces derniers jours… et à mesure qu’ils assument de plus grandes responsabilités, nous évaluerons non seulement leurs paroles, mais aussi leurs actions.»
«De nouvelles perspectives pour le peuple syrien »
Biden en a aussi profité pour revendiquer sa contribution à la chute d’el-Assad. Il a expliqué que son Administration avait joué un rôle central en affaiblissant les alliés du régime syrien, la Russie, l’Iran et le Hezbollah, par son soutien apporté à l’Ukraine et à Israël.«Notre approche a modifié l’équilibre des forces au Moyen-Orient. Grâce à cette combinaison de soutien à nos partenaires, de sanctions, de diplomatie et de force militaire ciblée lorsque cela s’avère nécessaire, nous voyons aujourd’hui s’ouvrir de nouvelles perspectives pour le peuple syrien et pour l’ensemble de la région.»
Si le soutien militaire américain à l’Ukraine et à Israël a bien joué un rôle décisif, la politique américaine au Proche-Orient a plutôt été celle de la tergiversation stratégique. Plutôt que de s’en prendre à Téhéran et à ses alliés régionaux, Biden et son Administration ont surtout tenté de restreindre Israël. D’abord pour obtenir des cessez-le-feu successifs à Gaza, puis pour convaincre les Israéliens de s’abstenir d’entrer en guerre contre le Hezbollah au Liban, ou de riposter trop durement contre l’Iran. La plupart des opérations israéliennes contre les Iraniens en Syrie et contre le Hezbollah au Liban ont été lancées sans la participations des Américains, ni même sans toujours les en informer.
Biden a appelé les Syriens à profiter de «la meilleure occasion depuis des générations pour les Syriens de forger leur propre avenir». «Ce serait gâcher cette opportunité historique que de renverser un tyran pour en voir un nouveau s’installer à sa place», a dit Biden, qui a demandé le respect de l’État de droit et de la protection des minorités religieuses et ethniques.
Le président américain a aussi promis de continuer à soutenir les forces kurdes des YPG dans le nord-est de la Syrie, qui détiennent notamment encore de nombreux combattants djihadistes de l’État islamique. Mais cette promesse, à six semaines de la fin de son mandat, risque d’être de courte durée. La Turquie, principal soutien de la rébellion syrienne, a déjà lancé une nouvelle offensive contre les positions kurdes syriennes, et les rebelles alliés d’Ankara se seraient déjà
emparés de la ville frontalière de Manbij. Mais surtout, Donald Trump a déjà manifesté son intention de ne pas s’impliquer dans les affaires syriennes. «La Syrie est un gâchis, mais elle n’est pas notre amie, et les États-Unis ne devraient pas s’en mêler», a écrit Trump sur son réseau Truth Social. «Ce n’est pas notre combat. Il faut le laisser se dérouler. Ne pas intervenir! » Trump, qui prendra ses fonctions le 20 janvier prochain, a souligné le revers subi par la Russie en Syrie dans «un pays qu’elle protège depuis des années… Aujourd’hui ils sont forcés de partir, et c’est peut-être la meilleure chose qui puisse leur arriver. La Russie n’a jamais eu grand intérêt à s'engager en Syrie, si ce n’est pour faire passer Obama pour un imbécile», a écrit Trump.
Refuser de s'engager en Syrie n’est pas sans conséquences
Trump se targue à juste titre d’avoir détruit l’État islamique en Syrie et en Irak, dans l’une des rares opérations américaines victorieuses au Moyen-Orient, tout en évitant de rappeler que la campagne avait été lancée par son prédécesseur, Barack Obama. Il avait aussi ordonné en 2017, puis en 2018, des frappes contre le régime syrien, après que celui-ci avait eu recours à l’arme chimique contre des positions rebelles. Obama avait renoncé à le faire en 2013, laissant le champ libre à l’intervention russe. Trump enfin avait porté un grand coup à la politique régionale iranienne en tuant en 2020 Qassem Soleimani, le commandant de la Force al-Qods, le cerveau et le grand coordinateur des opérations de l’Iran au Moyen-Orient.
Mais refuser de s’engager en Syrie n’est pas sans conséquences. Lors de son premier mandat, Trump avait tenté de retirer les forces spéciales américaines en 2019, à la demande du président turc Erdogan, et malgré les protestations du Pentagone et la démission de son secrétaire à la Défense James Mattis l’année précédente. S’il impose cette décision lors de son retour au pouvoir, le nord-est de la Syrie pourrait voir ressurgir l’État islamique, et ses membres prisonniers retourner au combat. La chute soudaine du régime syrien après moins de deux semaines d’une offensive rebelle, vient surtout rappeler à Trump que, comme celle de ses prédécesseurs, sa politique étrangère risque d’être largement déterminée par des événements échappant à son contrôle.