Par Isabelle Lasserre, LE FIGARO
DÉCRYPTAGE - De la Syrie à l’Ukraine, de nombreux acteurs internationaux n’attendent pas l’entrée en fonction du 47e président des États-Unis pour tenter d’anticiper ses options radicales.
Depuis la réélection de Donald Trump, le 5 novembre, les changements du monde connaissent une accélération vertigineuse, dont nul ne sait si elle entraînera plus de chaos ou davantage de stabilité. Comme si la planète était prise d’un brusque tournis, les ruptures s’enchaînent les unes après les autres. Cessez-le-feu au Liban, brutale chute du régime syrien, perspectives de négociations en Ukraine, pour ne citer que les principales et les plus récentes.
« La pensée magique de Donald Trump produit déjà ses premiers effets. Comme si son ambition réitérée de mettre fin aux guerres plaçait les différents acteurs dans une disponibilité d’esprit particulière. Trump demande au Qatar de chasser les chefs du Hamas ? Ils partent en Turquie. Trump prévient qu’il veut un cessez-le-feu au Liban quand il prend ses fonctions ? Il y a un accord de cessez-le-feu. Trump regarde Gaza et Téhéran ? Le Hamas se dit prêt à négocier un cessez-le-feu et l’Iran à négocier un nouvel accord sur le nucléaire», résume Éric Danon, ancien ambassadeur de France à Tel-Aviv.
Tous ces bouleversements, bien sûr, sont liés à la vie propre des guerres, à leur rythme et leurs désillusions, de même qu’à leurs interactions. C’est la jonction des deux grands conflits du moment, la guerre en Ukraine et celle du Proche-Orient, qui a provoqué l’explosion, que personne n’avait vu venir, de la Syrie de Bachar el-Assad. La Russie, tout accaparée par sa guerre en Ukraine, n’avait plus ni les moyens ni l’énergie militaire de se porter une nouvelle fois au secours de son allié syrien, déjà repêché en 2015. Le Hezbollah non plus, bras armé de l’Iran dans la région et autre sauveur du dictateur syrien, mais considérablement affaibli par sa guerre avec Israël. «Les changements, au Moyen-Orient comme à l’est, étaient en germe depuis longtemps», explique David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean Jaurès.
Encore fallait-il un déclencheur et des acteurs pour saisir les opportunités… La réélection de Donald Trump a joué un rôle de catalyseur sur les grandes crises internationales. Avec les incertitudes et les ambiguïtés qu’elle charrie en matière de politique étrangère, elle a provoqué un effet domino dont on n’a sans doute pas encore vu la fin. Trump l’a redit à ses alliés et à ses adversaires : il veut pouvoir se concentrer sur l’Amérique et sur la Chine et ne supportera, à partir du 20 janvier, aucune distraction. Aux acteurs du monde, donc, de prendre leurs responsabilités. Retenez-moi ou je fais un malheur! Pour imposer ses vues et forcer la paix partout, Trump se dit prêt à utiliser la force. Il a ainsi promis qu’un déluge de feu s’abattrait sur le Hamas s’il ne libérait pas d’ici le 20 janvier les otages israéliens.
Les alliés qui vivaient sous la protection du parapluie américain, en Europe et en Asie, tremblent et tentent de s’organiser. Les autres acteurs n’ont pas attendu son arrivée dans le Bureau ovale pour essayer d’anticiper les options radicales de Washington et faire bouger les lignes. «Tout le monde se dit qu’il faut se repositionner avant le 20 janvier, car après ce sera trop tard ou trop compliqué. Car Donald Trump est non seulement imprévisible, mais il est assis sur la plus grande puissance militaire du monde. Il va faire peur aux gens pour leur imposer la paix», poursuit le diplomate Éric Danon.
En Ukraine aussi, où la réalité se mélange au souffle lié au retour de Donald Trump, qui a fait de la fin de la guerre sa priorité numéro un. Sur le terrain, les Russes accélèrent leur offensive pour s’emparer du plus de territoires possibles avant la prise de fonction du président élu. Mais les pertes humaines, sur le front, sont si importantes que beaucoup d’experts doutent que l’effort soit tenable sur le long et même sur le moyen terme. Quant aux Ukrainiens, ils continuent à reculer dans le Donbass. Ils manquent cruellement d’hommes à envoyer au front ainsi que des équipements militaires qui pourraient leur permettre de faire la différence. Donald Trump leur offre à tous l’opportunité de négocier. Mais si Volodymyr Zelensky a laissé entendre qu’il pourrait accepter de cesser le combat en échange de fortes garanties de sécurité occidentales, Vladimir Poutine ne s’est pour l’instant dit prêt à aucune concession.
Pour l’instant, les changements de l’ordre international issu de 1945 n’ont apporté que le chaos et la désorganisation. La transition américaine serat-elle porteuse de plus de stabilité ou entraînera-t-elle d’autres réactions en chaîne? Les scénarios d’apaisement ne sont encore que des promesses. En Ukraine, ils pourraient préparer une future guerre si Donald Trump relâche trop vite la pression sur Vladimir Poutine. Au Proche-Orient, ils pourraient faire disparaître la Cisjordanie si le président américain donne un blanc-seing à Benyamin Netanyahou. Mais en Iran, ils pourraient éteindre les velléités d’incendie qui menacent la question nucléaire. Ils pourraient aussi, en favorisant le rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite, calmer une région en ébullition permanente.
Comme le résume un diplomate français : «Il est encore trop tôt pour savoir de quel côté retombera la pièce. À ce stade, mieux vaut jouer à pile ou face.» Seule certitude : le cyclone qui s’est abattu sur les relations internationales n’a pas encore perdu de sa vigueur. Ses tornades peuvent se diriger n’importe où et n’importe quand, comme on l’a vu récemment sur la péninsule coréenne, avec au nord l’envoi de troupes pour aider la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, et dans le Sud démocratique, une tentative de coup d’État sur fond de fragilité stratégique…