Trump : entre chantage et provocation

Trump : entre chantage et provocation
الاثنين 10 فبراير, 2025

Analysant le mode de chantage institué par Donald Trump, Dominique Moïsi prévient : le « rien n'est gratuit » peut conduire facilement au « tout est permis ». S'il n'y a plus de principes, plus de respect du droit international, le monde peut facilement basculer dans le chaos.

LES ECHOS

« Eh bien Monsieur l'ambassadeur, nous mourrons ensemble », aurait dit le général de Gaulle à l'ambassadeur soviétique à Paris au moment de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. « Eh bien Monsieur le Président, nous nous appauvrirons ensemble » devraient dire à Donald Trump tous ceux qui - alliés ou non de l'Amérique - sont victimes de ses tentatives de chantage.

Faire chanter ses alliés n'est pas une pratique commune en diplomatie. La flatterie, accompagnée de la mise en avant d'intérêts communs, est non seulement plus fréquente, mais aussi plus recommandable. Certes, les bénéfices à court terme du chantage sont bien réels. Le Canada et le Mexique se sont inclinés devant les exigences pressantes de Washington en matière de sécurité. Mais les coûts à long terme sont bien plus importants. Washington et Ottawa se réjouissaient d'être voisins. Quelle chance est la nôtre, répétaient-ils de manière presque rituelle. Contrairement à l'Europe du Nord et de l'Est, notre principale frontière commune n'est pas avec la Russie, mais avec un pays civilisé dont nous partageons les valeurs.»

Cynisme contre réalisme
C'était bien sûr avant le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Substituez aux valeurs et aux sentiments une définition étroite et purement mercantile des intérêts et vous avez très vite le degré zéro de la diplomatie. Le « rien n'est gratuit ». peut conduire si facilement autout est permis. S'il n'y a plus de principes, plus de règles, plus le moindre respect du droit international, le monde peut si facilement basculer dans le chaos.

S'indigner de la méthode employée par Trump pour imposer sa volonté (tout particulièrement à ses alliés) n'est pas faire preuve d'irénisme ou de naïveté. Tous ceux qui dénoncent les belles âmes» qui s'inquiètent des dérives et des outrances du locataire de la Maison-Blanche passent à côté de l'essentiel. Lorsqu'il va au-delà d'un certain niveau, le cynisme est le contraire absolu du réalisme. Dire à Kiev que Washington continuera de la soutenir, pour peu que l'Ukraine mette à disposition de l'Amérique ses terres rares, est une manière d'abaisser le débat et de confondre les enjeux.

Dissuader Poutine d'aller plus loin dans ses ambitions de conquête et d'expansion territoriale est un objectif clé en lui-même: pour l'Amérique tout autant que pour l'Europe. Tout se passe, dans l'esprit de Trump, comme si les citoyens américains ne pouvaient entendre que les arguments les plus matérialistes et terre à terre.

Au-delà du chantage, il y a la provocation, délibérée ou inconsciente. En proposant de transformer Gaza en un paradis sur le modèle de la Riviera, Donald Trump doit-il être pris au sérieux ? Il y a tellement d'incohérences et d'approximations dans sa vision si contraire au droit international. Cacher l'extravagance et l'ignorance sous le masque du gros bon sens et de l'imagination constructive ne pourra mener bien loin. On ne saurait évacuer le problème de la Palestine en évacuant les Palestiniens.

En alternant chantage et provocation, le Président américain isole et affaiblit l'Amérique. Une politique qui ne peut profiter à terme qu'a un seul acteur: la Chine. Pékin pourra même se donner le luxe de donner des leçons de clarté morale à l'Amérique. Tout le capital de sympathie accumulé par les Etats-Unis-en particulier en matière de soft power - se trouve remis brutalement en question.

La volonté d'Elon Musk de tailler dans le budget de l'USAID aura un coût stratégique, politique, culturel, humain et émotionnel très supérieur aux économies budgétaires espérées. Dans l'Amérique de Trump, les frontières de l'espoir se ferment, les prisons de la répression s'ouvrent. Sans oublier le traitement de la délinquance qui sera (pour partie peut-être) confié demain au Salvador. Dans quelques années (ou décennies, si l'on est pessimiste), tout cela paraitra fou peut-être. En attendant c'est notre quotidien. Et la réalité semble désormais plus stupéfiante et terrifiante que la fiction la plus anxiogène.

Au moment où le monde devrait se préoccuper prioritairement du réchauffement climatique, des véritables intentions de la Chine ou des dérives de l'islamisme, la diplomatie du chantage et de la provocation à la Trump constitue une gigantesque, et potentiellement fatale, distraction.