Majdi Nema, ancien porte-parole du mouvement salafiste Jaych Al-Islam, très actif dans l’insurrection anti-Assad, avait été arrêté en 2020 à Marseille, où il se trouvait pour des études. Il est accusé de disparitions forcées et de complicité de crimes de guerre.
Par Madjid Zerrouky - Le Monde
L’ancien porte-parole du groupe salafiste armé syrien Jaych Al-Islam (« Armée de l’islam ») a été renvoyé, mercredi 19 juillet, devant la cour d’assises de Paris pour « complicité de crimes de guerre et de disparitions forcées », selon les termes de l’ordonnance rendue par deux juges d’instruction. Majdi Nema, alias Islam Alloush, avait été arrêté le 29 janvier 2020 à Marseille, où il se trouvait pour des études, puis mis en examen par le pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris, avant d’être placé en détention provisoire. Il était entré sur le territoire français au moyen d’un visa Erasmus.
Principalement actif dans la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas, Jaych Al-Islam a été régulièrement accusé de commettre des crimes contre les populations civiles ayant vécu sous son joug à partir de 2013 et jusqu’en 2018. Cette faction est notamment soupçonnée d’être responsable de la disparition de l’avocate Razan Zaitouneh, enlevée le 10 décembre 2013 à Douma, dans la Ghouta. Cette figure du soulèvement populaire de 2011, lauréate du prix Sakharov des droits de l’homme, critiquait les exactions commises par toutes les parties du conflit. Son mari, Wael Hamada, cofondateur des comités locaux de coordination, la militante des droits humains Samira Al-Khalil et l’avocat Nazem Al-Hammadi ont été enlevés en même temps qu’elle.
Le 26 juin 2019, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression et la Ligue des droits de l’homme avaient déposé une plainte visant Jaych Al-Islam. Majdi Nema avait été mis en examen le 31 janvier 2020. Le Syrien, dont la détention provisoire a été prolongée le 12 juillet 2023, a toujours réfuté les accusations, avançant n’avoir été qu’un porte-parole « sans influence ». Sans convaincre, donc.
« Compétence universelle »
« Ce n’est pas seulement son rôle de porte-parole qui est en cause, contrairement à ce qu’il avance pour sa défense. Ce qui est retenu est son rôle de cadre du renseignement et ce que [l’instruction] qualifie de “conseiller stratégique et militaire de la direction de Jaych Al-Islam” », explique Clémence Bectarte, avocate spécialisée en droit pénal international, qui coordonne le groupe d’action judiciaire de la FIDH.
Il lui est notamment imputé, outre des disparitions forcées, des accusations de complicité de crimes de guerre impliquant des actes de torture, l’enrôlement d’enfants au sein du groupe armé, des attaques délibérées contre la population civile ou encore la recherche d’armes et la collecte d’informations sur la localisation des cibles.
« Il est important que les crimes commis à l’encontre de toutes les victimes, et donc par toutes les parties, puissent être reflétés dans les procédures judiciaires qui ont lieu aujourd’hui en Europe, ajoute Clémence Bectarte. Il y a d’abord eu un effort qui s’est concentré, à juste titre, sur le régime, dont il faut toujours rappeler qu’il est le premier responsable des crimes commis contre la population civile. Puis un élargissement aux crimes commis par Daech, d’abord sous le prisme de l’antiterrorisme, puis à des poursuites sur des fondements de crimes de guerre et de génocide. Et là, c’est la première fois que l’on voit un ancien cadre de Jaych Al-Islam être poursuivi sur le fondement du mécanisme de la compétence universelle. » Devant l’impossibilité d’accéder à la Cour pénale internationale, les victimes se sont tournées vers des pays tels que l’Allemagne, la Suède, la France ou l’Espagne, où s’applique le mécanisme de compétence dite extraterritoriale ou universelle pour les cas de crimes contre l’humanité, génocide et crimes de guerre.
Le procès de trois chefs et anciens chefs des services de renseignement du régime de Bachar AlAssad, Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud, renvoyés devant la cour d’assises en mars, aura, lui, lieu devant la cour d’assises en leur absence, du 21 au 24 mai 2024, à Paris.