La trêve doit s’arrêter ce week-end, et le groupe armé s’est doté d’un nouveau commandement
Summer Said, Rory Jones et Benoit Faucon.
The Wall Street Journal / L'Opinion
Le Hamas est en train de restructurer ses forces militaires en vue d'une potentielle reprise des combats contre Israël à Gaza, pendant que les médiateurs œuvrent à prolonger le cessez-le-feu qui doit expirer ce week-end.
Selon des représentants arabes en discussion avec le Hamas, sa branche armée a nommé de nouveaux commandants et a commencé à déterminer où positionner ses combattants dans l'éventualité d'une reprise de la guerre. Le groupe considéré comme terroriste par les États-Unis a également entrepris de réparer son réseau de tunnels souterrains et envoie des brochures aux nouveaux combattants sans expérience indiquant la manière d'utiliser leurs armes pour livrer une guérilla contre Israël.
Ces préparatifs interviennent pendant qu'Israël et les États-Unis exhortent le Hamas à prolonger la trêve en vigueur actuellement à Gaza et à libérer d'autres otages avant d'entamer d'épineuses négociations en vue de mettre définitivement un terme à la guerre.
Les deux camps restent très opposés sur les conditions de base d'une cessation complète des hostilités. Israël veut que le Hamas se désarme et renonce à tout rôle dans la gouvernance de Gaza, mais le groupe refuse pour l'instant d'abandonner ses armes ou de renoncer à son influence sur la région.
Les États-Unis, intermédiaire-clé dans les pourparlers de cessez-le-feu, se sont dit décidés à obtenir une seconde étape de la trêve qui inclurait des négociations pour mettre un terme à la guerre, mais disent avoir besoin de plus de temps que ce que permet le cessez-le-feu qui doit s'achever ce samedi. Le Hamas a indiqué qu'il était ouvert à une prolongation de la première étape du cessez-le-feu avec Israël. Mais les deux camps étant actuellement dans l'impasse quant aux procédures de sa mise en œuvre, il continue de se préparer à une reprise des combats, après quinze mois de guerre qui ont dévasté la bande de Gaza.
Au début du mois, Izz al-Din Haddad, chef militaire du Hamas présent dans le nord de Gaza, a réuni ses lieutenants pour imaginer la tactique de déploiement d'une potentielle nouvelle attaque israélienne et a averti qu'Israël commencerait par vouloir reprendre un corridor stratégique qui divise la bande de Gaza, selon les représentants arabes.
Les militants du Hamas ont converti du matériel de guerre qui n'avait pas explosé en engins explosifs improvisés et passé au crible les maisons pour détecter les dispositifs d'écoute laissés par l'armée israélienne afin de surveiller leurs faits et gestes. Le Hamas a chargé des combattants de repérer d'éventuels espions à Gaza et une autre unité de surveiller de potentielles infiltrations par les forces israéliennes, selon les mêmes sources.
Tsahal est conscient que le Hamas est en train de se reconstituer et reconnaît que son ennemi a recruté des milliers de nouveaux membres pendant la guerre. Mais les représentants israéliens soulignent que les forces armées du Hamas, malgré de récentes manifestations de force publiques au cours de cérémonies de restitution d'otages, ont été notablement affaiblies par la guerre. Israël a tué des milliers de combattants du Hamas et une grande partie de ses dirigeants, détruit ses dispositifs de tir de roquettes ainsi que des pans entiers de son réseau de tunnels. Tsahal a également repoussé les alliés régionaux de la milice, le privant d'un moyen de se réarmer.
« Bien entendu, quelqu'un d'autre reprend les rênes », déclare Israel Ziv, général israélien à la retraite qui reste en contact avec des militaires israéliens actifs. Le Hamas, dit-il, « c'est comme un chargeur : vous tirez une balle et une autre la remplace immédiatement ». Mais Israël « a détruit le Hamas en tant qu'organisation militaire », affirme-t-il.
Sa position d'organisation battue mais pas vaincue a suscité des débats au sein des dirigeants du Hamas sur la direction à prendre, selon les services de renseignements arabes.
Les représentants du Hamas sont d'accord avec l'idée que le groupe devra renoncer à diriger ouvertement Gaza si l'enclave est reconstruite avec l'argent de donateurs étrangers. Mais les partisans de la ligne dure veulent rester une force armée capable d'exercer une influence en coulisses et potentiellement repartir au combat contre Israël, selon les agents des renseignements arabes et un représentant du Hamas.
Le débat est devenu si houleux que la direction du Hamas basée à Doha a envisagé de rompre avec les cadres du groupe à Gaza, auteurs de la décision de lancer les attaques du 7 octobre 2023 qui ont déclenché la guerre, selon les mêmes sources.
Reflet de cette tension interne, Moussa Abou Marzouk, un de ses hauts responsables installés hors de l'enclave, a exprimé des réserves sur ces attaques lors d'une interview publiée le 24 février, et dit au New York Times qu'il n'aurait pas été possible de soutenir ces agressions si le Hamas avait appréhendé l'ampleur du chaos qu'elles déclencheraient à Gaza.
Peu de temps après, un porte-parole du Hamas basé à Gaza a publié une déclaration affirmant que le groupe était prêt à s'engager dans un conflit armé avec Israël et célébrait les attaques du 7 octobre 2023, où le Hamas a tué 1200 personnes et fait 250 otages, comme étant un moment décisif de la lutte nationale palestinienne. La guerre qui a suivi à Gaza a tué plus de 48000 personnes, selon les autorités palestiniennes qui ne disent pas combien d'entre elles étaient des combattants.
« Il y a clairement une divergence de vues entre ceux qui sont à Gaza, qui ont tendance à être plus radicaux et militants, et ceux qui sont à Doha, plus pragmatiques », souligne Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales.
Le groupe n'a pas répondu à une demande de commentaires envoyée le 25 février.
« Le Hamas est un mouvement unifié sur le terrain et à l'étranger », a rectifié Hussam Badran, membre du bureau politique du groupe à Doha, au cours d'une interview, après avoir été interrogé sur ces divisions au début du mois.
Il y a fort à parier que le débat interne influence les réflexions du groupe sur la possibilité de prolonger le cessez-le-feu actuel. Soixante-deux otages kidnappés lors de l'attaque du 7 octobre sont encore retenus à Gaza ; Israël pense qu'au moins 35 d'entre eux sont morts.
Pendant la trêve, le Hamas a utilisé la libération des otages de Gaza pour projeter une image de puissance et redorer son blason auprès des Palestiniens. Il a obtenu la libération de centaines de Palestiniens détenus dans des prisons israéliennes dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu. Il a fait défiler des centaines de combattants armés en gilets pare-balles et treillis dans la bande de Gaza et exhibé des dizaines de pick-ups et tout un stock de fusils d'assaut, dont beaucoup de fabrication israélienne et américaine.
Le Hamas a monté des scènes pour vues de haut-parleurs et d'immenses bannières à l'encre encore fraîche, arborant des slogans anti-Israël qui faisaient référence à des événements récents. Les combattants y portaient des cordons et des badges – qu'il est plus coutumier de voir à des événements d'entreprise qu'au cou de guerriers endurcis – et les équipes de tournage des médias du Hamas ont filmé les échanges, propagande qu'ils ont ensuite diffusée sur les réseaux sociaux.
Le groupe renforce également sa mainmise sur les affaires civiles. Les forces de police du Hamas organisent la livraison de l'aide humanitaire des ONG, aide qui afflue à Gaza depuis le début de la trêve. Israël accuse la milice de détourner la nourriture et le matériel au bénéfice de ses membres pour renforcer leur soutien et recruter de nouveaux combattants.
Le Hamas a appelé les élèves et les professeurs à retourner à l'école, ce qui a peu de chances de se produire étant donné que beaucoup servent d'abri pour les familles déplacées, et son ministère du Logement affirme être en train d'évaluer le nombre de maisons détruites pendant le conflit.
Tsahal est prêt à reprendre le combat si le Hamas ne renonce pas, affirme Amir Avivi, un ancien chef militaire israélien.
« Le gouvernement, l'armée, l'administration américaine, tout le monde s'accorde à dire que le Hamas ne peut pas rester et que la bande de Gaza doit être vidée de ses armes », précise-t-il.
Mais pour l'instant, la milice ne donne aucun signe de vouloir accéder à ces exigences, ajoute-t-il, ce qui indique que la probabilité d'une reprise des combats est « très, très élevée ».
Summer Said, Rory Jones et Benoît Faucon
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)