The Wall Street Journal / L'Opinion
« Vous allez voir le marché obligataire se fissurer », prévient Jamie Dimon. Il n’est pas le seul à le penser
Cette question figurait en couverture du magazine d'information le plus influent des Etats-Unis en mars 1972, illustrée par l'Oncle Sam retournant ses poches.
Tirer la sonnette d'alarme sur une crise de la dette a été très profitable aux entreprises vendant des pièces d'or et des produits financiers douteux, mais les honnêtes gens se sont sentis bien ridicules lorsque rien ne s'est fina lement passé. A l'instar du bug de l'an 2000 que redoutaient les marchés financiers.
Alors pourquoi cette inquiétude se répand-elle soudainement? Parce que les chiffres font peur, avec des intérêts sur la dette dépassant les 1000 milliards de dollars par an et une administration fédérale qui manque de prudence. Même ceux qui ont déjà sonné l'alarme méritent qu'on les écoute à nouveau.
Le gérant de fonds spéculatifs Ray Dalio a bien quelque chose à vendre: son livre, How Countries Go Broke (Comment les pays font-ils faillite), qui est sorti mardi. Mais la réputation de cet homme, 172 fortune mondiale, ne se joue pas sur ses droits d'auteur, et ses arguments sont convaincants. M. Dalio a déclaré à Bloomberg qu'il donnait à l'Amérique « trois ans, à un an près», pour éviter un infarctus » économique.
Peter Orszag, directeur général de la banque d'investissement Lazard et ancien directeur du budget, a écrit la semaine dernière que ceux qui déploraient l'insoutenabilité du déficit budgétaire et du niveau de la dette » à l'époque où il travaillait au gouvernement « semblaient crier au loup, très souvent». Aujourd'hui, lui aussi s'inquiète, car le loup « rôde beaucoup plus près de notre porte».
Le paquet de mesures fiscales et budgétaires envoyé au Sénat, désormais officiellement baptisé « la grande et belle loi», pourrait bien attirer le loup encore plus près. Le projet de loi budgétaire devrait augmenter la dette d'en viron 3000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie par rapport aux estimations actuelles, voire de 5000 milliards si certaines mesures temporaires devenaient permanentes, affirme le groupe non partisan Committee for a Responsible Federal Budget (CRFB).
Pour avoir une idée de la situation, les intérêts fédéraux de l'exercice fiscal en cours dépasseront le budget de la défense et le total des dépenses consacrées à Medicaid, à l'assurance invalidité et aux bons alimentaires.
En outre, les estimations du Bureau du budget du Congrès présupposent que le marché obligataire non seulement supportera une augmentation des dépenses, mais qu'il s'assouplira également avec une baisse des rendements.
Si le rendement des bons du Trésor à 10 ans restait au niveau actuel d'environ 4,4% durant les dix prochaines années, le coût de la dette monterait de 1800 milliards de dollars supplémentaires, selon les estimations du CRFB.
Et si, au contraire, les rendements se mettaient à grimper dans un cercle vicieux? Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan, a mis en garde vendredi contre les conséquences d'un tel scénario: «Vous allez voir le marché obligataire se fissurer».
Pourtant, le marché obligataire ne s'effondre pas vraiment, même si les rendements à 30 ans ont récemment atteint leur plus haut niveau depuis la crise. Alors, qui faut-il croire? des millions d'investisseurs plutôt détendus ou quelques experts fortunés?
Un autre gérant de fonds spé culatifs, Paul Tudor Jones, parle de kayfabe de l'économie, un terme issu du catch. Ou l'art de laisser de côté les doutes sur la réalité des chiffres tant que le spec tacle continue.
Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a réaffirmé ce week-end que les Etats-Unis ne se retrouveraient jamais en défaut de paiement. Cependant, ils ne sont pas obligés d'en arriver là: une inflation rapide aurait les mêmes conséquences si la Fed devait intervenir en urgence par le biais d'une mesure appelée « dominance budgétaire ». Qu'est-ce qui fera basculer le marché obligataire d'une légère inquiétude vers une sorte d'angoisse contagieuse? L'ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) Kenneth Rogoff, spécialiste des crises de la dette, expliquait en avril que ce n'est pas simplement une question d'arithmétique».
« Quasiment tous les pays font défaut soit par un défaut pur et simple, soit par une inflation éle vée bien avant que les chiffres de la dette ne les y contraignent», a-t-il ajouté.
Malgré les estimations de M. Dalio, il est impossible de savoir quand les alarmistes auront raison. Mais comme l'énonce la loi de Stein: « Si quelque chose ne peut pas durer éternellement, cela s'arrêtera». (Contrairement à ce que l'on entend, cette phrase n'a pas été prononcée par l'acteur Ben Stein, qui jouait le rôle d'un professeur d'économie ennuyeux dans La folle journée de Ferris Bueller, mais par son père, Herb, un véritable économiste.) La vie nous surprendra toujours.