Yahya Sinouar, architecte des attaques du 7 octobre contre Israël, a contribué à resserrer les liens entre le Hamas et Téhéran il y a quelques années
Summer Said & Rory Jones / The Wall Street Journal / L'Opinion
L’arrivée de Yahya Sinouar, le cerveau des attaques du 7 octobre, à la tête du Hamas renforce les liens stratégiques du groupe avec l’Iran, et témoigne d’un front uni entre Téhéran et les groupes armés dans le conflit avec Israël et les Etats-Unis.
Ces dernières années, l’Iran a fourni une aide matérielle et financière au Hamas, mais historiquement, les relations entre les religieux chiites iraniens et les militants sunnites de la bande de Gaza sont tendues. Le soutien du Hamas au Printemps arabe en Syrie a provoqué une rupture avec Téhéran, qui, contrairement aux espoirs de Yahya Sinouar et d’autres, n’a pas rejoint la lutte dans le sillage du 7 octobre. Et au sein même du Hamas, la coniance à accorder à l’Iran divisait les esprits.
Yahya Sinouar a coupé court aux discussions quelques heures à peine après l’assassinat d’Ismaël Haniyeh, l’ancien chef du bureau politique du Hamas, dans un appartement de Téhéran gardé par des militaires iraniens. Lorsque des membres du bureau se sont réunis pour élire son remplaçant, il a interrompu les débats depuis le tunnel de Gaza où il se cachait : le nouveau chef devait être proche de l’Iran, selon des responsables arabes et du Hamas proches du dossier.
Mardi dernier, le Hamas a annoncé la nomination de Yahya Sinouar à sa tête – une décision qui a mis sur la touche d’autres responsables du Hamas, dont Khaled Mechaal, qui avait les faveurs des soutiens sunnites de longue date du Hamas, à savoir le Qatar et la Turquie. Le choix de Yahya Sinouar plutôt que de Khaled Mechaal témoigne de l’inluence croissante de l’Iran dans le monde sunnite.
« Très clairement, c’est quelqu’un de considéré comme beaucoup plus proche de l’Iran qui arrive à la tête du mouvement », commente Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, qui airme que la décision est loin de faire l’unanimité au sein du Hamas.
La nomination de Yahya Sinouar constitue une preuve que les responsables du mouvement soutiennent sa ligne dure contre Israël, aux côtés des groupes armés alliés de l’Iran. Le nouveau chef du Hamas veut la reconnaissance d’un Etat palestinien et, pour ce faire, vise – comme l’Iran – la destruction de l’Etat d’Israël.
« Yahya Sinouar est un chef militaire, explique Younis al-Zuraie, analyste politique palestinien à Gaza. Et dans la région, les militaires n’ont de liens qu’avec l’Iran. »
Pour l’Etat hébreu, la nomination de Yahya Sinouar marque un tournant dans l’histoire des relations entre le Hamas et l’Iran. « L’arrivée de Yahya Sinouar à la tête du Hamas envoie un message clair au monde : la question palestinienne est désormais entièrement contrôlée par l’Iran et le Hamas », a affirmé Israël Katz, le ministre israélien des Afaires étrangères, dans un communiqué mercredi.
Son élection intervient à un moment de tension extrême, alors qu’Israël s’attend à une réaction de l’Iran et du Hezbollah à deux assassinats ciblés, dont celui d’Ismaïl Haniyeh, qui ont mené le Proche-Orient au bord de l’embrasement. Yahya Sinouar, le cerveau des hostilités dans la bande de Gaza depuis dix mois, veut déclencher une guerre régionale qui permettrait la constitution d’un Etat palestinien aux dépens de l’Etat hébreu.
Son arrivée à la tête du bureau politique du mouvement risque de compliquer les efforts menés par les Etats-Unis pour arriver à un cessez-le-feu, affirment des négociateurs arabes. Si la plupart des dirigeants du Hamas sont considérés comme des terroristes par Washington, certains sont partisans d’une ligne dure, et d’autres sont plus modérés, cherchant un cessez-le-feu. Yahya Sinouar fait partie de la première catégorie : il entend adopter une position radicale pour forcer Israël à faire des concessions.
S’il accepte un cessez-le-feu, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pourrait avoir du mal à composer avec ses alliés de droite, qui veulent la destruction de l’arsenal du Hamas et la mort de Yahya Sinouar. Ce dernier est désormais l’ennemi public numéro un de l’armée israélienne, ce qui complique sa capacité à diriger le mouvement et, potentiellement, à négocier un cessez-le-feu.
Yahya Sinouar était l’un des plus fervents partisans du rapprochement entre le Hamas et l’Iran après les tensions du Printemps arabe. Il s’est exprimé pour la première fois depuis une prison israélienne, où il était condamné à perpétuité pour meurtre.
Libéré en 2011 dans le cadre d’un échange de prisonniers, qui a vu le retour d’un millier de Palestiniens incarcérés en Israël contre un otage détenu par le Hamas, le soldat Gilad Shalit, Yahya Sinouar est sorti de prison à une période de tension entre le mouvement et Téhéran. L’Iran et le Hezbollah avaient soutenu la répression de Bachar al-Assad contre la population sunnite de Syrie, où le Hamas avait son siège à l’époque. Le mouvement avait pour sa part soutenu la révolte sunnite, avant de partir s’installer à Doha.
En 2012, Yahya Sinouar est arrivé au bureau politique du Hamas, supervisant les opérations militaires, et, cinq ans plus tard, est devenu chef du mouvement à Gaza. Il a rapidement cherché la réconciliation avec l’Iran.
En 2021, il a déclenché une guerre de onze jours avec Israël, dans un contexte de tensions entre Juifs et Palestiniens à Jérusalem. Après le cessez-le-feu, il a organisé une conférence de presse, où il s’est élevé contre son ennemi, avant de marquer une pause.
« Je dois préciser une chose », a-t-il déclaré devant les journalistes.
Le Hamas remerciait l’Iran de l’avoir soutenu (par des fonds et des armes notamment) dans sa lutte contre Israël.
« Il n’était pas avec nous sur le front, mais il était tout de même à nos côtés », a-t-il airmé.
Malgré cet apparent rapprochement, Yahya Sinouar semble avoir surestimé le soutien que l’Iran et un autre groupe soutenu par Téhéran, à savoir le Hezbollah libanais, étaient prêts à lui apporter en cas de guerre, et il aurait été déçu de ne pas les voir se joindre à sa lutte contre l’Etat hébreu après le 7 octobre.
Tout au long des afrontements actuels, il a continué à échanger avec ses alliés soutenus par l’Iran, jouant sur la corde chiite. Dans un de ses messages, il a ainsi comparé la guerre à une bataille menée au VIIe siècle à Kerbala (dans l’actuel Irak), où le petit-ils de Mahomet a été massacré, et qui constitue un moment fondateur de l’histoire chiite.
Dans la bande de Gaza, la nomination de Yahya Sinouar a suscité l’inquiétude de certains Palestiniens, qui souhaitent la in des hostilités.
« On sait tous que Yahya Sinouar est un dictateur, et qu’il ne veut pas que la guerre se termine, explique Lina Fawwaz, une Gazaouie de 37 ans. Je pense que ce n’était pas du tout le bon choix, mais je ne vois pas qui on aurait pu mettre à sa place. »
D’autres Palestiniens ont salué la nomination de quelqu’un qui, selon eux, résiste à Israël. Yahya Sinouar a gagné en popularité depuis le début de la guerre, même s’il a parfois ralenti les négociations de cessez-le-feu, selon un sondage réalisé en juin par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, un organisme cisjordanien.
Pour Ghassan Khatib, professeur à l’université Birzeit en Cisjordanie, les Palestiniens voient d’un bon œil son arrivée à la tête du mouvement : « De toute façon, c’était déjà lui qui décidait. »
Et de conclure : « Mais on ne sait pas comment cette guerre va finir. On ne sait pas s’ils vont survivre. »